Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

victoire des catholiques, qui ont profité des fautes de leurs adversaires. Les vainqueurs du scrutin du 10 juin ont conquis le pouvoir ; ils ont aussitôt formé un ministère avec M. Malou pour président du conseil, M. Beernaert, M. Jacobs, M. Woeste, M. Moreau d’Andoye, M. Van den Peereboom, le général Pontus. Quelques-uns de ces hommes ont une position considérable dans leur parti et dans le pays. M. Malou est un des vieux parlementaires de la Belgique, connu pour ses lumières, pour son esprit modéré et ses aptitudes financières. Un des premiers actes du nouveau cabinet a été de supprimer le ministère spécial de l’instruction publique et de replacer la direction de l’enseignement au ministère de l’intérieur, où elle était autrefois ; cette modification d’ailleurs n’implique nullement une diminution de l’importance attachée à l’enseignement, elle tient simplement à une idée différente sur la prépotence de l’état et sur les droits des communes dans l’enseignement. Le ministère a tenu aussi à dissoudre le sénat, où demeurait une majorité libérale de quelques voix. Il reste à savoir si les élections sénatoriales qui vont se faire dans quelques jours compléteront la victoire du 10 juin. Le ministère a dans tous les cas à la chambre des députés une majorité qui lui crée une position assez forte pour être en pleine possession des affaires et gouverner sans embarras. La question est maintenant tout entière dans la politique qu’il suivra.

Que les catholiques extrêmes, qui existent en Belgique comme partout, revendiquent pour eux le succès du 10 juin ; qu’ils réclament passionnément, bruyamment l’abrogation de toutes les lois faites par les libéraux, le rétablissement de toutes les influences cléricales, et qu’ils en soient déjà à se plaindre de la modération, de la circonspection du ministère Malou, ils sont dans leur rôle ; ils ont tous les emportemens des partis violens. Le ministère, lui, ne s’associe point évidemment à ces exagérations ; il comprend sa position. Il sait que, si les catholiques, qu’il représente au pouvoir, ont triomphé dans les élections dernières, c’est parce qu’ils ont su être modérés et gagner par cette modération même l’alliance de beaucoup de libéraux fatigués de la politique violente de leur ancien parti. Cette alliance qui a fait la force des catholiques dans les élections, le ministère semble bien décidé à la maintenir, en donnant satisfaction au sentiment catholique et conservateur, mais aussi en évitant toute réaction, en assurant surtout la liberté à tout le monde. C’est la politique qui l’a aidé à vaincre, c’est aussi la seule politique qui puisse l’aider à vivre avec honneur pour son parti, avec profit pour la libérale et sage Belgique.

CH. DE MAZADE.