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intimement que les diplomates de la conférence ne peuvent guère les séparer dans leurs délibérations. Ils ne feront qu’une œuvre vaine, peu sérieuse, ou ils seront conduits à embrasser l’ensemble des affaires égyptiennes. Or c’est ici que la situation devient singulière, bizarre, qu’elle se complique d’une circonstance imprévue, d’un phénomène absolument nouveau qui n’est qu’un grand désordre ou qui peut être, en vérité, le commencement d’une révolution dans la politique et dans la diplomatie.

Qu’on veuille bien considérer ce fait qui se produit, si nous ne nous trompons, pour la première fois. La conférence, dans sa sphère, est assurément souveraine ; ce qu’elle décide avec les pouvoirs qu’elle a reçus est censé lier les gouvernemens. D’un autre côté cependant, à Paris et à Londres, les ministères, assiégés de défiances parlementaires, se sont laissé imposer l’obligation de soumettre aux chambres ce qu’aura décidé la conférence réunie en ce moment. M. Gladstone l’a promis à la chambre des communes, M. Jules Ferry l’a promis à la chambre des députés de France. Ils l’ont dit : rien ne sera définitif qu’après l’approbation des chambres ; de sorte que les parlemens se trouvent par le fait associés à l’œuvre de diplomatie ; ils ne la contrôlent pas seulement, ils peuvent au besoin l’annuler. Ce que la délibération collective des grandes puissances aura fait, les parlemens de Paris et de Londres peuvent le défaire par un vote. La conférence n’est plus qu’un bureau consultatif dont les décisions n’ont rien d’assuré et de définitif. C’est tout simplement l’anarchie par la confusion de tous les pouvoirs, par l’invasion de l’autorité parlementaire dans les affaires de diplomatie, par l’abdication des gouvernemens, par le morcellement des responsabilités. Après cela, qu’on ne s’y trompe pas, toutes les négociations deviennent difficiles, si elles ne sont pas impossibles. Supposez un instant qu’à Paris ou à Londres le parlement repousse absolument ou modifie partiellement les décisions de la conférence : il est douteux que la diplomatie accepte le rôle qui lui aura été fait et se prête à recommencer son travail. L’œuvre diplomatique n’existe plus ; l’arrangement même conclu entre les cabinets de Paris et de Londres n’a plus de valeur. C’est une situation toute nouvelle, d’autant plus qu’il y a bien des chances pour que les ministères disparaissent dans ces complications, et la France se retrouve dans l’isolement d’où elle a voulu sortir, plus que jamais séparée de l’Angleterre, peut-être aussi des autres puissances, réduite à reconquérir péniblement une position dans ces affaires d’Egypte de plus en plus aggravées.

Ce qui ajoute peut-être à l’obscurité dont cette question égyptienne reste enveloppée au moment même où s’ouvre la conférence, c’est l’attitude que les gouvernemens du continent ont gardée jusqu’ici. Ils ne se sont prononcés ni sur les propositions financières de l’Angleterre, ni