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L’imprévu est dans toutes les affaires : témoin cet incident inattendu qui vient de se produire au Tonkin. Le traité de Tien-Tsin paraissait en avoir fini avec toutes les complications, du moins avec les chances d’un conflit lointain. On croyait n’avoir plus qu’à régulariser, à coordonner une situation nouvelle créée par la paix avec la Chine et par le récent traité signé à Hué avec l’Annam. Pas du tout ! une petite colonne française, envoyée pour prendre possession de la ville de Lang-Son, à la frontière, a rencontré inopinément sur son chemin des forces chinoises qui ne sont pas évaluées à moins de dix mille hommes. Cette colonne, après un combat où elle a eu des morts et des blessés, a dû prendre position à Bac-lé pour se mettre en sûreté en attendant les renforts qui lui ont été aussitôt expédiés de Hanoï sous les ordres du général de Négrier. Ce qu’il y a là de surprenant et de singulièrement équivoque, c’est la présence de forces régulières chinoises commandées, dit-on, par des généraux chinois. Est-ce là un de ces accidens d’indiscipline et d’incohérence toujours possibles dans des pays où les ordres du pouvoir central sont facilement méconnus ? De toute façon, la France est obligée de demander compte à la Chine de cette violation du traité de Tien-Tsin, qui peut n’être qu’un contretemps tout fortuit, — qui peut fort bien aussi être un acte de duplicité du gouvernement de Pékin, signant la paix d’une main et de l’autre envoyant des ordres de guerre à la frontière. Tel qu’il est, ce malencontreux incident a du moins un avantage ; il est venu fort à propos au moment où déjà l’on se disposait à rappeler en France une partie du corps expéditionnaire ; il prouve, et c’est là sa moralité, que le rapatriement prématuré de nos soldats pourrait être étrangement dangereux, que, si l’on veut être en sûreté, il faut se décider ou se résigner à maintenir longtemps encore peut-être des forces suffisantes au Tonkin. C’est un préservatif contre les illusions qu’on a pu trop promptement se créer au lendemain du traité de Tien-Tsin, et ce qu’il y a de plus clair, c’est que, pour éviter des surprises nouvelles, il n’y a pas d’autre moyen que d’être toujours en mesure d’agir.

Les affaires sérieuses, surtout celles qui ont l’Orient pour théâtre, ne finissent pas si vite, et M. le président du conseil en fait aujourd’hui l’expérience, non-seulement au Tonkin, mais avec cette question égyptienne qui, en entrant depuis quelques jours dans une phase nouvelle, ne s’est peut-être pas simplifiée. On a fait, il est vrai, un grand pas ; on l’a cru du moins. Les négociations engagées depuis deux mois entre la France et l’Angleterre ont eu pour résultat un arrangement préliminaire accepté par les deux cabinets. La conférence, — à laquelle le ministère britannique a été le premier à faire appel, puisqu’il en avait besoin, — se réunit en ce moment même à Londres pour délibérer sur la situation de l’Égypte, devenue assez triste depuis l’intervention anglaise. Qu’en est-il cependant et de cet arran-