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le débat se traîne et languit. On ne s’y intéresse pas. M. Madier de Montjau déploie son éloquence surannée de vieux tribun dans le vide, M. Léon Renault parle avec art pour flatter ceux qui l’écoutent et réussit à peine à piquer la curiosité par un discours qui, en démontrant l’inutilité de la révision, conclut pour la révision. C’est qu’en définitive on comprend que la situation est équivoque et fausse pour tout le monde, que c’est là une question qui ne répond à rien ou qui est mal engagée.

Il y avait à choisir entre deux systèmes de conduite ; ou bien on reconnaissait que, dans les circonstances présentes, une réforme constitutionnelle ne répondait ni à un mouvement sensible d’opinion ni à une évidente nécessité publique, et alors il fallait dès la première heure se prononcer nettement, résolument contre toute tentative révisionniste, pour l’intégrité de la constitution ; ou bien, si l’on voulait une révision, il fallait la préparer avec une certaine ampleur, proposer une réorganisation sérieuse du sénat, revenir, par exemple, aux premiers projets très libéralement conçus de M. Dufaure. M. le président du conseil a cru plus habile de procéder en tacticien, de faire lui-même ce qu’il jugeait inutile, d’enlever par politique aux radicaux une arme dont ils pouvaient abuser et de proposer une révision aussi atténuée, aussi mitigée, aussi inoffensive que possible. M. le président du conseil, avec sa tactique, est arrivé naturellement à ne contenter personne, ni les partisans systématiques et absolus, ni les adversaires réfléchis de la révision. Il n’a sûrement pas satisfait et il ne pouvait satisfaire ceux qui restent convaincus que la constitution, telle qu’elle est, suffit à tout, qu’elle a le double avantage d’être assez flexible pour se prêter à tous les mouvemens de l’opinion et d’être l’expression visible d’une pensée de stabilité dans les institutions. Il pouvait encore moins se promettre de désarmer par une diversion les révisionnistes à outrance. Si M. le président du conseil a cru, avec un peu de révision, prendre ses garanties contre les revendications des radicaux, il s’est fait peut-être une illusion singulière. Il a beau payer rançon par une concession, il a toujours devant lui ce, qu’on peut appeler le parti des agités et même des demi-agités. Ceux-là ne sont jamais satisfaits. Ce qu’ils réclament, ce n’est pas la modification de la première chambre, c’est la suppression du sénat, et après la suppression du sénat, ils demanderaient la suppression de la présidence de la république, et, après la disparition de la présidence de la république, ils demanderaient que le pouvoir exécutif passât tout entier dans des comités au sein d’une convention nouvelle. Ils poursuivent leur rêve de constitution républicaine. Les agités sont toujours des agités, et ils n’ont pas caché à M. le président du conseil qu’il se flattait vainement d’éteindre la question, qu’on procéderait pour la réforme constitutionnelle comme pour l’amnistie, qu’on s’était servi il y a quelques années d’une première concession pour obtenir l’amnistie