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vérité, la politique du jour. Depuis six mois, les chambres françaises sont réunies, et d’ici à quelques semaines elles se disperseront de nouveau pour l’automne. Sauf les courtes vacances d’avril, elles auront eu six longs mois de session pour le travail. Pendant ce temps, et surtout depuis le retour du parlement au 20 mai, qu’a-t-on fait réellement ? Oh ! sans doute, le sénat s’est occupé du divorce ; il le vote sans entrain, sans enthousiasme, parce qu’on le lui a présenté, et ce n’est pas là apparemment ce qui peut passer pour une réforme démocratique ; c’est une fantaisie à laquelle le sénat se prête moins par conviction que par résignation. La chambre des députés, pour sa part, est depuis un mois tout entière à cette loi de recrutement, chimère ruineuse de l’esprit de parti ou de secte, et elle se perd si complètement dans ses conceptions égalitaires qu’elle finit par ne plus savoir où elle en est, par tout voter, sans se rendre compte de ce qu’elle vote. D’un autre côté, il y a aussi certainement la révision constitutionnelle, cette révision que personne n’a demandée, au dire de M. le président du conseil, et qui, par cela même, a été jugée si opportune qu’on s’est mis aussitôt à la discuter. Ajoutez à ceci les questions parlementaires, les interpellations, les incidens bruyans : ce sont là assurément des occupations faites pour relever et illustrer une session ! Malheureusement, tandis qu’on perd un temps précieux à des œuvres de parti ou de fantaisie, à des débats qui prouvent justement ce qu’il y a d’artificiel dans notre vie publique, on ne s’occupe pas de bien d’autres choses pourtant assez sérieuses. On ne s’occupe pas d’une situation financière qui reste toujours précaire, du budget qu’on ne trouvera même pas le moyen d’examiner avant les vacances. On ne s’occupe pas des mesures pratiques qui pourraient être utiles à notre armée, qui seraient le préliminaire naturel et nécessaire d’un nouveau système de recrutement. On ne s’occupe pas de l’agriculture, de l’industrie. On va les yeux fermés dans cette voie où l’on s’est engagé, où, en négligeant ce qui intéresse le pays, on ne s’occupe que de ce qui le laisse indifférent, — de ce qui l’atteint quelquefois dans sa sécurité, dans sa vie morale et intellectuelle : témoin cette double discussion d’hier sur la révision constitutionnelle, qui ne répond à rien, et sur une loi militaire, qui menace tout.

S’il est, en effet, une question notoirement inutile, oiseuse, c’est cette révision, qui est livrée à la discussion depuis quelques jours, qui n’est point encore votée, — et, chose curieuse, ce n’est pas seulement le pays qui reste froid ; c’est le parlement lui-même, dont beaucoup de membres ont inscrit cette réforme dans leurs programmes ; c’est le parlement qui ne peut réussir à s’échauffer. On a beau se mettre en campagne, réveiller les souvenirs du 16 mai et de l’assemblée monarchique qui a fait la constitution, discuter sur la révision limitée ou illimitée, sur le droit constituant, sur les pouvoirs et le rôle du congrès :