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ses disciples parmi les castes populaires, à l’exclusion des brahmanes et des kchattriyas. Sa prédication et celle des tisserands ou des barbiers qu’il envoyait de son couvent de Bénarès aux extrémités de l’Inde, passent pour avoir exercé une grande influence sur la révolution qui éleva l’hindoui du rang d’un bas dialecte à celui d’une langue littéraire. Kabir, qui suivit Ramanand, non content de prêcher les Hindous, eut en outre l’ambition de porter la foi parmi les gentils. Il essaya notamment d’une conciliation de la foi kricnnaïte avec la foi musulmane[1]. L’enseignement d’aucun d’eux n’exerça de mauvaise influence. Et l’on peut même dire que celle de Kabir fut particulièrement heureuse, au moins si l’on y peut rattacher la prédication de Nanak. l’apôtre des Sikhs. Mais, au commencement du XVIe siècle, deux autres sectaires, brahmanes cependant tous les deux, Chaitanya, né à Nadiya, dans le Bengale, et Vallabhacarya, du district de Camparan, sur la frontière du Népaul, purgèrent le krichnaïsme de ce qu’il pouvait encore conserver des pratiques de l’ascétisme antique, et ne régnant uniquement de la légende que ce qu’elle avait de plus conforme aux pires instincts d’un peuple sensuel, en tirèrent toutes ses conséquences. On trouvera dans le livre de M. Barth de curieux renseignemens sur l’une et l’autre secte dont Chaitanya et Vallabhcarya furent les fondateurs. S’il y en a beaucoup d’autres, une vingtaine au moins de principales, elles-mêmes subdivisées en un nombre infini, toutes ou presque toutes sont infectées du même érotisme mystique et de la même superstition grossière. La théorie des avatars ayant d’ailleurs permis de considérer chaque fondateur de secte comme une incarnation de son Dieu lui-même, le culte s’est transporté du Dieu à la personne humaine de ses prophètes, et, ce qui est plus curieux encore, à la personne de leurs descendans. « En 1861, dans la seule présidence de Bombay on comptait soixante-dix de ces hommes-dieux, de la seule secte de Vallabbacaryas. » Leurs fidèles buvaient avidement » la salive qu’ils rejetaient en mâchant le bétel, ou l’eau qui avait servi à laver leurs pieds ; » et pour les femmes de la secte, c’était « la plus grande bénédiction que d’être distinguées par eux et de servir à leurs plaisirs. ».

Je ne voudrais pas laisser le lecteur sur cette fâcheuse impression. J’aime donc mieux dire en terminant que quelques sectes, malgré tout, ont su se préserver de cette abjection et de cette immoralité. Telle est celle qui s’honore de descendre d’une reine d’Udajapura, Mira Bai, qui vivait dans le temps d’Akbar. Pressée d’abjurer ton Dieu, elle aima mieux, dit la légende, quitter le trône et la vie que de renier Krichna.

  1. Nous empruntons tous ces renseignemens à l’excellent ouvrage de M. W.-W. Hunter : the Indian Empire : its history, people and products ; 1882, Trübuer, éditeur.