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si profondes surtout ? mais, quand elles le seraient encore davantage, prouveraient-elles si démonstrativement ce que l’on veut qu’elles prouvent : l’adaptation de la légende chrétienne, par quelque voie que ce soit, à la légende de Krichna ? Nous ne le croyons pas, et pour bien des raisons. Si c’est au merveilleux, tout d’abord, que l’on s’arrête, la mythologie brahmanique, après vingt-cinq siècles d’élaboration peut-être, et accrue, comme nous l’avons dit, de tout ce qu’elle empruntait à la superstition populaire, était assez riche d’un tel fonds pour suffire à défrayer, sans autre secours, la biographie miraculeuse d’un nouveau dieu. Si c’est à la pensée que l’on regarde, nous croyons avec M. Barth « que la théorie des avatars, ou incarnations, devait sortir comme d’elle-même de la conception védantique de l’immanence divine ; » tôt ou tard, mais fatalement. Et si c’est à la morale enfin que l’on s’attache, du moment que le bouddhisme a précédé le krichnaïsme, n’est-il pas plus naturel d’expliquer par son influence presque tout ce que l’on explique par l’influence du christianisme ? Resterait, à la vérité, ce que l’on a nommé le caractère « idyllique » de ce dixième livre au moins, du Bhagavaia Pourana, — Krichna, dieu des bergers et surtout dieu d’amour, Il dont le sourire dissipe la douleur des mondes, » conquérante sa personne les pharisiens eux-mêmes du brahmanisme, entraînant les cœurs sur ses pas, et promenant ses enseignement sous un ciel, au milieu d’une nature dont les séductions s’ajoutent à celles de sa personne et de ses leçons. Seulement c’est peut-être ici l’autre terme de la comparaison qui fait faute à son tour, et c’est dans les Évangiles que l’on chercherait inutilement ce caractère « idyllique ; » s’il n’avait plu jadis à M. Renan de l’y mettre.

Mais surtout, dans toutes les comparaisons, dans tous les rapprochemens de ce genre, il me semble qu’il y a deux ou trois points dont décidément on ne tient pas assez de compte. Le premier, — c’est que les analogies ou les rencontres en elles-mêmes n’importent guère, et que toute la question est de savoir sous quelle influence particulière, comme en chimie, si la métaphore ne parait pas trop grossière, une combinaison nouvelle et originale s’est formée. S’il y a dans la légende de Krichna des traits qui rappellent manifestement les anciennes légendes de Vichnou, s’il y en a qui rappellent la légende d’Héraclès, s’il y en a qui rappellent l’histoire de Çakyamouni ; s’il y en a qui rappellent enfin l’évangile, sans compter tout ce que nous omettons dans le dénombrement, tout cela ne fait rien à l’indépendance du culte de Krichna et ne prouve, après tout, qu’une chose, à savoir l’identité de l’esprit humain dans ses opérations. — C’est le second point auquel on devrait faire attention. — L’esprit humain, pour divers qu’il soit, n’est pas inépuisable ; le cercle de ses inventions n’est pas illimité ; mais si l’imagination se heurte promptement quelque