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d’Alexandrie, et en rapporta, selon saint Jérôme, un évangile hébreu qu’y avait laissé saint Barthélémy. On ne s’explique pas bien, dit à ce propos un docteur gallican du XVIIe siècle, pour quelle cause l’apôtre parmi des populations indiennes, avait laissé cet évangile hébreu. Le grave et pieux Tillemont fait observer en outre que chez les anciens, d’une manière générale, et en particulier, chez les historiens de l’église, les Indes ne sont pas plutôt l’Hindoustan que toute autre contrée d’Orient. C’est une appellation vague dont on semble user librement toutes les fois qu’il s’agit d’une région qui n’est administrativement comprise ni dans l’empire romain ni dans celui des Parthes. Mais si la mission de saint Thomas, de saint Barthélémy, de saint Pantène enfin dans l’inde est douteuse, il en est autrement de l’établissement d’une colonie de nestoriens syriens, vers le Ve siècle de notre ère, sur la côte de Malabar, où leur petite église existe encore aujourd’hui. C’est d’eux que daterait l’influence du christianisme sur le krichnaïsme, et ce serait par eux que certaines coutumes chrétiennes auraient pris place dans les cérémonies du culte de Krichna.

C’est surtout M. Albert Weber, l’un des savans indianistes de l’Allemagne contemporaine, qui a soutenu cette thèse. Une simple observation suffira peut-être à montrer que M. Weber s’est au moins trop pressé de conclure. Lorsqu’il reconnaît, par exemple, dans les représentations figurées du culte de Krishna, l’imitation des images catholiques de « la Vierge allaitant l’Enfant, » il oublie, comme le fait justement remarquer M. Senart, que le sujet lui-même de « la Vierge allaitant l’Enfant, n s’il n’est pas inconnu de la primitive iconographie chrétienne, y est du moins extrêmement rare. Ne pourrait-on pas peut-être ajouter que l’hérésie de Nestorius ayant précisément consisté dans la négation du caractère divin du Fils de l’Homme et la dénégation formelle à la Vierge du titre de mère de Dieu, il serait difficile à croire que des Historiens eussent importé dans l’Inde la représentation plastique du dogme même qu’ils rejetaient ? D’autres n’en sont pas moins allés beaucoup plus loin encore que M. Weber. Dans ce même épisode de la Bhagavat Gita que nous avons cité, tel indianiste a reconnu l’œuvre d’un homme profondément versé dans l’écriture et dans les pères. Il ne faudrait pas sans doute le pousser beaucoup pour qu’il ne vît là-dessus dans le krichnaïsme qu’un christianisme dégénéré. Ainsi ceux de nos missionnaires qui ne peuvent pas rencontrer dans les pratiques religieuses d’un grand peuple, — ou d’une tribu polynésienne, — une ombre de morale ou un commencement de monothéisme, sans y reconnaître aussitôt des traces, ou, comme ils disent, des vestiges d’influence chrétienne…

Ces théories ne semblent pas jusqu’à présent avoir fait en France la même fortune qu’en Allemagne. Et, en effet, ces ressemblances ou ces analogies, pour curieuses qu’elles soient, sont-elles donc si frappantes,