Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et voici un nouvel avantage de la supposition. Le temps de la plus grande splendeur du bouddhisme dans l’Inde tombe à peu près dans le IIIe siècle avant notre ère. Si le culte de Krichna, comme nous le pensons, est postérieur au bouddhisme, ses commencemens tomberont donc aux environs du Ier siècle ou du IIe siècle après Jésus-Christ ; les religions ne se développant pas, en général, du jour au lendemain, et les cultes qui doivent durer, comme c’est ici le cas, se constituant avec lenteur, invisiblement et insensiblement. Ce rapprochement de dates suffit, lui seul, à ruiner la thèse des prétendus emprunts que le christianisme naissant aurait pu faire au krichnaïsme. Je ne pense pas, au surplus, qu’ainsi posée, personne aujourd’hui la soutienne. Mais on peut la poser autrement, et si l’on admet que la métaphysique de Plotin ait exercé quelque influence sur la formation de la métaphysique chrétienne, il y aurait lieu de rechercher, dans ce grand laboratoire d’idées qui fut l’antique Alexandrie, l’influence que la métaphysique hindoue, directement ou indirectement, pourrait avoir exercée sur la genèse du néo-platonisme.

Le fait est du moins qu’entre les livres qui nous sont ou qui devraient nous être si familiers, et ce Bhagavata Pourana qui nous semble d’abord et qui nous est, en somme, si parfaitement étranger, on relève de curieuses ressemblances. M. Hauvette-Besnault en indique plusieurs ; d’autres en ont déjà signalé d’autres. S’il y en a qui sont de pure forme, comme celle-ci : « Qu’importent aux gens de bien les hommes méprisables, les hommes fiers de leurs richesses, vains et s’appuyant sur des choses aussi vaines qu’eux-mêmes ? » que M. Hauvette-Besnault rapproche heureusement de la parole célèbre : Et receperunt mercdem suam, vani vanam ; il y en a qui vont plus profondément, comme celle-ci : « Celui qui, confiant en la miséricorde, et jouissant avec simplicité du fruit de ses vertus, passe sa vie à t’honorer en esprit, en paroles, et en actions, voilà l’homme qui a part à ton héritage dans le séjour de la délivrance ; » et l’on en citerait enfin qui semblent aller plus loin encore, et presque à fond, comme quand, dans ce dixième livre du Bhagavata, le dieu ne demande plus à ses fidèles que de croire en lui et d’aimer sa personne. « Le bonheur, c’est de la dévotion à ta personne qu’il déroule, ô maître, et ceux qui la dédaignent pour acquérir l’intelligence de l’absolu en sont pour leur peine, comme des gens qui écosseraient des gousses vides. » Ces ressemblances, qui sont indiscutables, on tend à les expliquer aujourd’hui par une influence du christianisme sur le krichnaïsme. Selon la tradition chrétienne, en effet, deux apôtres au moins, saint Thomas et saint Barthélémy, passent pour avoir, dès le premier siècle, évangélisé les Indes. Saint Thomas y aurait même été martyrisé, dans les environs de Madras, et Marco Polo raconte qu’il y vit son tombeau. Quelque cent ans plus tard, un saint Pantène y fut député