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34. — Car c’est toujours une action que le moyen que l’on emploie pour se débarrasser de l’action, et ce moyen n’est pas définitif ; l’une et l’autre action sont, en effet, le fruit de l’ignorance, et la première ressemble à un songe dans un songe.

35. — Car, quoique les objets n’aient pas de réalité véritable, le cœur, enveloppé par la forme du corps subtil, ne peut arrêter le cours de la transmigration, pas plus qu’un songe n’interrompt le cours d’un autre songe.

36. — Puisque donc l’esprit, qui est la réalité véritable, est retenu au sein du monde, qui n’est qu’une succession de vaines apparences, le seul moyen qu’il ait de s’affranchir de ce monde est une dévotion absolue au précepteur suprême.

C’est le panthéisme orthodoxe dans sa pureté, tel que l’expose le système védanta, par exemple, l’un des systèmes classiques de la philosophie de l’Inde. Mais dans les derniers mots de ce dernier verset, dans cette idée de la a dévotion absolue au précepteur suprême, » quelque chose de nouveau se laisse démêler ; d’une loi de désespoir, il semble que l’on soit au moment de passer sous une loi d’amour ; et, en effet, tel est bien, dans ses origines au moins, le caractère du krichnaïsme. C’est une religion pour les humbles et pour les femmes, en réaction contre la dureté du brahmanisme antique. Elle séduit par la persuasion, elle conquiert par la douceur, elle retient par le charme décevant du mysticisme ; et l’âme s’y anéantit littéralement dans la personne de Hari ; — Hari, « auquel sont chers les pauvres, dont il est l’unique bien, » tandis qu’il est méconnu des « brahmanes, ces faux pages, ces coryphées de la science humaine. » D’où vient ce souffle nouveau ? La réponse était facile quand on admettait, avec Eugène Burnouf, l’antériorité du bouddhisme sur le culte de Krichna[1]. Si c’est, au contraire, comme on a dans ces derniers temps essayé de le démontrer, le culte de Krichna qui serait antérieur au bouddhisme, la question se complique et devient singulièrement difficile à résoudre.

Nous n’avons heureusement pas besoin d’interroger la science étrangère sur l’état présent des questions relatives au bouddhisme, et le livre de M. Senart, étant à la fois le mieux fait et le plus modéré dans l’expression de son scepticisme, est sans doute le meilleur que nous puissions suivre. — Le personnage du Bouddha semblait s’être dégagé des admirables recherches de Burnouf avec des caractères si particuliers, des traits si précis, une physionomie si réelle, si vraie, si vivante, que l’on avait pu dire que l’histoire du bouddhisme nous était désormais

  1. Eugène Burnouf, Introduction à l’Histoire du bouddhisme indien.