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essentiel. Cosmogonie, mythologie, théologie, métaphysique, morale, traditions, histoire, poésie même, il n’est rien, en effet, — ou peu de chose, comme l’on voit, — qu’un Pourana ne puisse contenir. Figurez-vous la Divine Comédie de Dante, cette « Somme » poétique de la théologie du moyen âge, étendue, par l’insertion d’une douzaine de nos Chansons de geste, jusqu’aux proportions de soixante ou quatre-vingt mille vers : C’est à peu près l’impression de désordre et de confusion que donne d’abord le Bhagavata.

Il y a toutefois un premier point de vue d’où cette confusion se débrouille, et un second d’où l’on peut dire qu’elle se laisse ramener à une espèce d’unité. C’est en premier lieu si l’on considère les Pouranas dans leur ensemble comme une encyclopédie de la science brahmanique mise à la portée des castes que la discipline sociale de l’Inde n’admettait pas à la connaissance des Védas. Et c’est ensuite si l’on fait attention qu’ils ont tous été rédigés dans un esprit de secte hautement avoué, pour la glorification d’une personne divine : tantôt Brahma, tantôt Siva, tantôt Vichnou. Les Hindous se servent même communément de cette indication pour classer les Pouranas. Six d’entre eux sont consacrés à Brahma ; ils passent pour les moins importans, Brahma n’ayant jamais occupé dans aucune des religions de l’Inde le haut rang que nous lui attribuons, et ne possédant aujourd’hui même qu’un ou deux temples et de très rares adorateurs[1]. Six autres sont placés sous l’invocation de Siva, dont on dit que les sectateurs sont, en réalité, bien moins nombreux dans l’Inde actuelle que ne tendrait à le faire croire le grand nombre de ses sanctuaires. Enfin, les six derniers, dont le Vichnou notamment et le Bhagavata font partie, sont autant d’apothéoses de Vichnou, le Dieu conservateur, sous les espèces de Krichna, son huitième avatar et son avant-dernière incarnation. Le lecteur a déjà compris que, si l’intérêt littéraire des Pouranas était médiocre (au moins pour ceux qui ne sauraient les aborder dans leur langue originale), l’intérêt historique et philosophique, en revanche, en est considérable. Les Védas eux-mêmes sont à peine des documens plus importans pour l’histoire des religions de l’Inde. Je veux dire par là que les religions dont les Pouranas sont les livres sacrés sont toujours des religions vivantes ; er, des religions qui ne comptent pas aujourd’hui beaucoup moins de cent quatre-vingts millions de fidèles sont peut-être quelque chose d’assez considérable dans l’histoire de l’humanité pour que l’ennui de lire les Pouranas n’en détourne pas la curiosité.

C’est au moment même où Burnouf arrivait au dixième livre du

  1. Les Religions et les langues de l’Inde, par M. Robert Cust ; du service civil de sa majesté l’impératrice des Indes ; Leroux, éditeur.