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Choa, Menelek, parut à sa cour avec une pierre au cou pour implorer son pardon, il l’embrassa en pleurant, le couronna de ses mains, lui rendit son royaume en exigeant un tribut annuel.

Quant à sa politique étrangère, c’est une politique de négus qui consiste à se ménager des intelligences avec les souverains de l’Europe, pour pouvoir s’en servir au besoin soit dans ses luttes avec l’Egypte mahométane, soit dans les difficultés intérieures qui pourraient survenir. Mais il est permis de conclure des conversations qu’il eut à Debra Tabor avec M. Rohlfs que ses idées sont un peu confuses, qu’il prend volontiers les rats pour des éléphans et les éléphans pour des souris. Les Abyssins croient qu’il y a trois mondes : l’Éthiopie, l’Europe et la Turquie. Ils considèrent l’Europe comme un empire à peu près aussi grand que l’Abyssinie, mais privé de l’avantage de posséder un négus négesti. Ils se font une haute idée de l’empereur de Russie ; ils estiment qu’il est presque aussi puissant que le roi de Tigré. Ils ne méprisent point l’Allemagne ; l’empereur Jean félicita M. Rohlfs d’avoir pour maître un vrai négus, c’est-à-dire un souverain qui a des rois dans son obéissance. Il lui demanda comment il se faisait que la France n’eût plus de gouvernement. M. Rohlfs l’assura qu’elle en avait un, mais il ne s’étend pas sur les explications qu’il s’empressa de lui donner à ce sujet. L’instant d’après, il découvrit, à son vif étonnement, que le négus regardait comme la première puissance de l’Europe, même avant la Russie, le petit royaume de Grèce, qui, salon lui, avait contraint les Turcs de faire la paix avec le tsar et de céder à leurs ennemis des royaumes entiers. M. Rohlfs chargea son interprète de lui expliquer comment les choses s’étaient passées ; mais le négus ne se laissa pas convaincre : « Il n’en est pas moins vrai, dit-il par forme de conclusion, que la Grèce est plus puissante que l’Allemagne. » Cette étrange opinion lui avait été inoculée par un consul grec, M Mitzaki, très habile homme, qui avait conquis sa faveur et entrepris de lui persuader que les évêques koptes sont une piètre marchandise qui ne vaut pas le transport, que les meilleurs des abunas sont ceux qu’on frit venir d’Athènes.

Somme toute, M. Rohlfs a gardé une impression favorable du négus d’Ethiopie. Il vaut mieux que la réputation que lui ont faite les missionnaires et ceux de ses sujets qui ne peuvent lui pardonner de défendre qu’on fume à sa cour. Il a exprimé au voyageur allemand son vif désir de civiliser les Abyssins, dès qu’il aura réglé son différend avec l’Egypte ; il voudrait à cette un posséder un port sur la Mer-Rouge. Les nations qui vivent près de l’onde amère sans y avoir accès ne respirent pas à l’aise, elles se sentent emprisonnées, il semble qu’on leur interdise la possession et la jouissance du monde. L’empereur Jean annonce aussi l’intention de construire des routes,