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restreindre à des accidens locaux ou à la marche particulière de certains glaciers, on voudrait là généraliser en l’appliquant à l’Europe entière.


VII

Dans le domaine de la paléontologie, toutes les notions, si élevées qu’elles soient, cèdent la place à celle de l’espèce, qui les domine et les efface. L’espèce, c’est l’être individuel qui se perpétue par la propagation et persiste pendant des générations, toujours semblable à lui-même, au moins en apparence. Si l’espèce, ainsi entendue, varie dans le cours des siècles, c’est assurément à l’aide de l’individu et par l’affermissement des variétés individuelles. Ainsi seulement ont pu se produire des branches collatérales, ramifiées à leur tour. Finalement, l’espèce elle même, d’où est-elle sortie originairement, et son origine, faut-il la concevoir comme une création de toutes pièces des individus qui la représentent, ou bien comme un enchaînement d’actes modificateurs successifs accentués peu à peu dans une ou plusieurs directions sensiblement divergentes ? — Ce sont là des questions qui se posent d’elles-mêmes en paléontologie et qu’on ne saurait éluder entièrement, même en prétextant l’ignorance. Cette ignorance ne saurait être absolue en présence des élémens partiels qui nous viennent des fossiles ; elle est plutôt synonyme de doute et d’incertitude ; et comment l’esprit de l’homme, une fois en éveil, sollicité même par des doctrines contradictoires, pourrait-il se soustraire à la nécessité de faire un choix entre des théories qui semblent s’exclure, mais qui, à travers leur choc, ne sont pas sans laisser entrevoir ce demi-jour qui précède la pleine lumière et permet au coup d’œil exercé de se diriger du côté où elle apparaîtra ?

Heer a abordé avec beaucoup de franchise et de bonne foi cette question de l’espèce. Il comprend bien qu’on ne saurait invoquer ni une création primordiale unique, ni une suite de destructions totales et de renouvellemsns successifs du monde organisé. Tout concourt à démontrer que la nature vivante a changé dans le cours des siècles, sans que pourtant les terres ni les mers aient jamais cessé d’être habitées par des plantes et des animaux. On est bien encore forcé d’admettre que des espèces ont souvent péri soit violemment, soit éliminées par l’effet du temps et la concurrence d’espèces rivales.

Il semble que la conséquence logique de cette extinction de certaines races, aux prises avec des circonstances défavorables ou des