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froid. Les vallées suisses, accessibles aux grands pachydermes, sur les points que ne couvraient pas les énormes glaciers quaternaires, étaient trop sauvages, trop reculées ; elles offraient trop peu de ressources alimentaires pour que l’homme primitif ait cherché à s’y introduire. Aussi aucun vestige de son séjour ni de l’industrie humaine de ce premier âge n’a encore été retiré des charbons d’Utznach. Ce n’est qu’après un long intervalle, lorsque le retrait définitif des glaciers eut rendu à elle-même la plaine suisse, que les lacs délivrés de leur pesant couvercle purent réfléchir de nouveau la lumière dans leur azur profond, que les prairies eurent partout repris possession du sol des vallées, que l’homme vint à son tour se rendre maître d’une nature et d’un pays renouvelés. Ce fut alors le temps des cités lacustres et de la pierre polie. En l’interrogeant, on se place, il est vrai, bien avant l’histoire, avant même l’usage des métaux, en présence d’une industrie et d’une agriculture rudimentaires, mais enfin dans un cadre où rien ne rappelle désormais m les traits ni les êtres à jamais effacés du monde primitif de la Suisse.


VI

Avant de fermer ces annales des anciens âges rédigées par Heer avec un charme si pénétrant, un coloris si vif, et un tour si gracieux, il est naturel de s’enquérir des idées générales du savant et du penseur, soit qu’il ait invoqué les théories des autres, soit qu’il en ait proposé de nouvelles, en développant à certains égards des vues originales. — Esprit clair, cherchant les explications et accueillant avec faveur celles qui lui paraissaient vraisemblables, Heer en revanche renonçait difficilement à une opinion une fois adoptée. Il lui semblait que rien ne dût jamais prévaloir contre une démonstration considérée par lui comme acquise. La science pourtant ne marche guère qu’à l’aide de compromis résultant d’affirmations et de démentis successifs. Les hypothèses et les systèmes, entachés le plus souvent d’une part d’erreur, et heureux si cette part est petite ! ne se produisent un jour que pour céder la place à d’autres que l’avenir corrigera à leur tour, avant d’obtenir la formule définitive. Il en est surtout ainsi de la paléontologie, dont les documens presque toujours incomplets demandent à être interprétés pour être mis en pleine valeur. Ce n’est pas tout que de constater des faits, il s’agit ensuite d’en fixer le vrai sens et la raison d’être ; mais, dans beaucoup de cas, on se heurte à des problèmes dont la grandeur étonne, bien qu’il soit difficile de se soustraire à la tentation d’essayer au moins de les résoudre.