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certaines vallées boisées et fertiles, de certains cantons arrosés et couverts de pâturages, au voisinage même des glaciers et en aval des cimes inaccessibles, soit demeuré ouvert aux grands animaux de l’époque, qui, sans y habiter toute l’année, pouvaient s’y rendre pendant la belle saison, en remontant les plaines à la recherche des endroits qui leur offraient une nourriture abondante et par des passages à eux connus. Ces observations s’appliquent dans notre pensée aux charbons feuilletés d’Utznach et de Durnten, la plus récente des formations examinée par Heer, celle qui termine la longue série d’étages et de gisemens d’où il a exhumé le Monde primitif de la Suisse. Il s’agit de lits tourbeux d’une puissance variable, intercalés dans des sédimens argileux d’origine lacustre, recouverts eux-mêmes par des amas de sable, de cailloux et d’élémens erratiques et reposant sur une couche détritique plus ancienne. Cette tourbe, exploitée sur plusieurs points des cantons de Zurich et de Glaris, a plus de consistance et de pouvoir calorifique que les tourbes modernes. L’examen suivi de tous les débris reconnaissables qu’on en a retirés a appris qu’elle avait dû se déposer sur le pourtour d’un lac subalpin à la cuvette profonde dans le milieu, évasée vers les bords, et cerné par une large lisière de plantes marécageuses. Des noisetiers, des chênes, des bouleaux, le sapin, le pin sylvestre et celui des tourbières formaient alentour un rideau sinueux sur un sol herbeux et imbibé, où le rhinocéros de Merk et l’éléphant antique séjournaient en troupes pendant les longs jours, se baignant à loisir dans l’eau fraîche des mares et vers l’embouchure des ruisseaux.

Le caractère tiré des plantes joint à celui que fournissent l’éléphant et le rhinocéros, espèces qui précèdent en Europe l’arrivée du mammouth (El. primigenius) et du rhinocéros à narines cloisonnées (Rh. tichorhinus), cette association reporte les charbons d’Utznach sur l’horizon du « Forest-Bed » de la côte de Norfolk, c’est-à-dire aux premiers temps de la période quaternaire, à un âge relativement tempéré, où le laurier et le figuier s’avançaient au nord jusqu’auprès de Paris, tandis que, par contraste, le climat du sud de l’Europe était plus humide et plus égal qu’il n’est devenu depuis. On sait que l’homme s’était alors déjà multiplié. La race de Chelles et de Saint-Acheul, celle qui taillait le silex à larges éclats et vivait en plein air, habitait à ce moment les bords de la Somme et ceux de la Seine. Cet homme primitif vit arriver le mammouth et disparaître l’éléphant antique, si voisin de celui des Indes. Il assista aux transformations du climat, devenu graduellement plus excessif, et plus tard lui ou une autre race chercha dans les cavernes un refuge à la fois contre les grands carnassiers et les rigueurs du