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entrevoit des érables, des noyers et des pins. Ce n’est pas là un tableau imaginaire ; il est fondé sur les déductions raisonnées de la science. La plupart des anciennes localités de la molasse suisse fournissent à Heer les traits d’une reconstitution semblable : bien plus, il va jusqu’à décrire la marche des saisons et il détermine le temps de la floraison de chaque espèce, d’après des indices qui n’ont rien d’illusoire. Mais nous avons hâte d’arriver à la principale de ces localités de la Suisse molassique, à celle qui, par la profusion des élémens qu’elle a fournis, les éclipse toutes, nous voulons parler d’OEningen, déjà mentionné au commencement de cette étude.

OEningen, avec ses plaques accumulées, aux minces feuillets peuplés d’innombrables vestiges d’animaux et de plantes, déposés lits par lits, de saison en saison, représente à lui seul une longue durée de siècles. Toutes les circonstances réunies s’accordent pour faire croire que les carrières d’OEningen, maintenant exploitées à ciel ouvert, se sont formées au fond d’un lac, dans des eaux tranquilles et pures, sur un point où des sources puissantes, peut-être thermales, avaient leur embouchure à portée de rives heureusement situées, couvertes d’une végétation luxuriante qui s’avançait jusqu’au lac, et empiétait plus ou moins sur son domaine. Les géologues croient que des phénomènes éruptifs ont précédé et accompagné l’établissement du lac d’OEningen et influé sur la sédimentation ; ces phénomènes n’auraient pas été étrangers aux particularités qui se rattachent au passage à l’état fossile d’un si grand nombre d’êtres organisés. OEningen appartient au dernier et au plus récent des cinq étages de la molasse. Il marque la terminaison de cette grande période, et la mer s’était retirée au moins partiellement de la plaine suisse et tendait à délaisser le centre de l’Europe, lorsque les plages de ce petit lac étaient ombragées de puissans végétaux et fréquentées par une faune aussi riche que variée. En dehors des plantes et des insectes, les reptiles recueillis à OEningen s’élèvent à douze ; les mammifères comptent six espèces, les poissons trente-deux. Aucun gisement du monde ne peut soutenir la comparaison, si l’on considère l’ensemble.

Bien que nous nous trouvions placés à la fin du miocène et sur un point éloigné du sud de l’Europe, nous devons constater la douceur des hivers de l’ancienne localité. La flore d’OEningen comporte pourtant une association singulière, au premier abord, de types des pays chauds, à feuillage ferme et pérennant et de types de la zone tempérée, se dépouillant chaque année au retour de la saison froide. D’une part, ce sont des camphriers, des canneliers, de vrais acacias, plusieurs palmiers, des savonniers, des tamariniers ; de l’autre, ce sont des saules, des peupliers, plus nombreux qu’en aucun autre temps, des ormes, des charmes, des bouleaux, des ambriers, etc.