Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A une époque où les régions polaires commençaient à peine à se refroidir, où pourtant, à raison même des progrès de ce refroidissement, une foule de végétaux quittaient l’extrême Nord pour chercher sous des latitudes plus clémentes les conditions qui leur faisaient défaut sous leur ciel natal, la mer molassique fut pour l’Europe entière une cause active d’égalisation des climats. Elle contribua efficacement à maintenir au centre du continent une température exempte de saisons extrêmes, une chaleur humide en été et des hivers à peine sensibles. Aussi c’est seulement après son retrait que l’on constate la marche définitive de l’abaissement calorique qui amena l’Europe aux conditions destinées à prévaloir dans le quaternaire. Heer applique la désignation d’île « pennino-carnolique » à la grande terre, très irrégulièrement découpée, dont la région des Alpes faisait alors partie et dont le tracé, au sud par Turin, au nord par Berne et Munich, s’allongeait en pointe jusqu’à Vienne, pour faire corps ensuite, par la Carniole et l’Illyrie, avec les Balkans, la Macédoine et une partie de la péninsule hellénique. Il n’est pas certain cependant, en dépit des sinuosités qui échancraient les rivages de cette terre, qu’elle fût une île véritable. Dans le midi de la France, elle se soudait au massif triasique et cristallin des Maures, dont la continuation masquée par les Ilots de la Méditerranée nous demeure inconnue. En Grèce, cette même terre semble avoir présenté vers l’Archipel et la côte attenante de l’Asie-Mineure un prolongement dont il serait impossible de marquer la terminaison.

C’est là qu’il faut placer les animaux et les plantes de la faune et de la flore mollassiques, les plus riches de toutes celles qui aient été encore observées à l’état fossile dans aucune autre contrée. Il est vrai que ces êtres n’ont pas tous vécu simultanément et qu’ils proviennent de gisemens distribués sur divers points de la Suisse actuelle. De même que, dans le cours entier du miocène, les lacs, après avoir succédé à la mer, ont plus tard cédé devant celle-ci, destinée à se retirer à son tour et à faire place à de nouveaux lacs, de même la végétation et la nature animée, loin de rester immuables, ont éprouvé d’un bout à l’autre de la période bien des changemens. Heer a étudié minutieusement ces modifications, dont il a fait ressortir le caractère et qui se traduisent par un certain abaissement de la température. La moyenne annuelle, estimée à 20 degrés centigrades au début de la période, n’est plus évaluée qu’à 18 degrés centigrades à la fin. Ce n’est là pourtant qu’un calcul approximatif et l’on voit qu’au total la décroissance aurait été peu sensible, même en acceptant l’évaluation comme rigoureuse.

Comme les modifications organiques ne sont elles-mêmes que partielles et graduelles, qu’elles n’ont rien qui dénote l’existence d’un ou plusieurs renouvellemens successifs, mais plutôt des