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à traverser les mêmes vicissitudes avant d’aboutir aux mêmes résultats.

On a de la peine à quitter en esprit cette méditerranée gracieuse, et, au risque de nous attarder le long de ses bords, nous mentionnerons une circonstance heureuse à laquelle est due la connaissance d’une partie au moins des êtres vivans qui fréquentaient ses rivages.

Nous avons parlé d’un fiord de l’île Hercynienne qui, dans la direction du Rhin actuel, remontait de Bâle à Francfort. La rive orientale de ce fiord, à partir de Carlsruhe, et de là jusqu’en Argovie, formait une langue étroite qui se terminait au sud par une plage basse où un cours d’eau prenait son embouchure, probablement au fond d’une petite baie et à l’abri de l’action immédiate des flots. C’est ainsi que, dans une vase molle, accumulée lit par lit, de nombreux débris des êtres vivans de l’époque, particulièrement des insectes, sont allés s’ensevelir, et leur étude permet de se faire une idée approximative de ce qu’était la nature sur le sol voisin, d’où les eaux les ont entraînés. Le gisement se nomme Schambelen, et Heer n’a pas manqué de reconstituer le paysage liasique d’après les documens retirés de ce gisement ; il est allé plus loin, puisque l’observation raisonnée des mœurs et des aptitudes des insectes de l’ancienne localité, comparées à celles de leurs correspondans actuels, lui a fourni l’occasion d’émettre des présomptions presque assurées à l’égard de certaines particularités qui, sans ce moyen ingénieux, seraient restées inconnues. Il faut le dire, ce ne sont jamais que des vues partielles et incomplètes que la paléontologie parvient à obtenir lorsqu’elle cherche à établir ce qui se passait autrefois à la surface du sol terrestre. Les anciennes mers, avec leurs coquilles demeurées en place, leurs coraux, échinides et spongiaires, dévoilent assez clairement les états successifs dont elles présentent le spectacle ; la comparaison directe de ces fonds de mers avec ceux de nos jours éclaire et facilite singulièrement la tâche poursuivie par le géologue. Il n’en est pas de même du sol émergé de chaque période. Il a fallu l’action du vent ou celle des eaux courantes, jointe à la chute naturelle des anciens débris, pour que les animaux ou les plantes d’un lieu déterminé aient laissé des vestiges, toujours clairsemés par rapport à ce qu’était l’ensemble. Les arbres dominans, à condition qu’ils n’aient pas vécu trop à l’écart des eaux, les animaux les plus répandus, avant tout les plantes et animaux aquatiques ou amis des bords marécageux ont eu évidemment, et sauf les cas exceptionnels, le plus de chances de survivre en laissant après eux des traces matérielles de leur existence. Il faut bien accepter cette pénurie relative