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Nous arrivons ainsi au « lias, » c’est-à-dire à la première moitié des temps jurassiques. L’aspect de l’Europe centrale a changé de nouveau ; elle n’est cependant toujours qu’un archipel de grandes îles ; mais ces îles, déjà agrandies, tendent à se rejoindre. Elles se souderont peu à peu et l’ensemble prendra graduellement une configuration variable à plusieurs reprises, mais toujours très éloignée assurément de ce qui est devenu enfin notre continent. Le milieu de l’Europe, il faut le dire, est resté infiniment plus longtemps tel que nous le montre Heer, c’est-à-dire constituant un bassin maritime intérieur, que sous sa forme actuelle et continentale, qu’il n’a prise que récemment et seulement à la suite du soulèvement des Alpes. On sait que ce dernier événement, si important par lui-même et ses conséquences, n’a précédé pourtant que de fort peu l’apparition de l’homme.

A l’époque liasique, l’espace continental, en Europe, recule à l’ouest jusqu’à la Bretagne, visiblement réunie, ainsi que la Normandie, à l’Angleterre occidentale. Au nord, on n’aurait rencontré le continent qu’en abordant la Scandinavie continue avec les plaines russes, dont la partie ouest, de la Courlande à Kalouga et de Smolensk à Arkhangel, était certainement émergée. La mer, à l’est et au sud de ces limites, s’avançait par l’Oural et couvrait toute l’Europe centrale. Mais, dans cet océan jurassique, se groupaient trois grandes îles : l’une, au nord, était formée par les Ardennes et les Vosges unies à la région Hercynienne, ou Allemagne du Sud, attenante elle-même à la Bohême. Cette première île était découpée par de nombreux fiords et présentait deux golfes étroits, l’un allant de Bâle à Francfort par la vallée du Rhin, l’autre situé au nord de Munich et s’avançant jusqu’à Culmbach. — La seconde île, placée à l’ouest, était celle du plateau central, comprenant l’Auvergne et ses dépendances ; elle s’avançait jusqu’à Lyon et prolongeait au nord une péninsule répondant au massif actuel du Morvan. — Enfin la troisième île était la région des Alpes actuelles ; étroite, allongée, découpée sur plusieurs points, elle courait de l’ouest à l’est, séparée de la seconde île par la vallée du Rhône, de l’île Hercynienne par la mer du Jura et celle de la plaine suisse jointe à la vallée du Haut-Danube. Elle s’avançait au moins jusqu’à Vienne, qui marquait l’emplacement d’un détroit. Cette configuration se prêtait à l’existence d’une petite mer intérieure dont Munich indique le centre : limitée par des bords capricieux, avec des passes étroites ouvertes dans trois directions, elle offrait un rapport frappant avec l’archipel japonais de nos jours. L’analogie est extrême et peut-être ne manque-t-elle pas de base sérieuse, s’il est vrai que les régions soient soumises, à mesure que leurs traits s’accentuent,