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maintenant que l’action des soulèvemens, à toutes les époques, peut avoir érigé jusqu’aux hauts sommets des masses cristallines auparavant cachées sous des couches plus récentes, ou bien encore n’ayant longtemps donné lieu qu’à de faibles ondulations de niveau. — En un mot, ainsi que nous l’apprend Heer, la région des Alpes suisses, avant de comprendre les plus hautes cimes du continent, a été d’abord une terre basse, aisément occupée ou traversée par les eaux. Quant à la plaine suisse, celle qui est encadrée par le Jura à l’ouest, le lac de Constance au nord-est et que le Rhin au nord sépare de l’Allemagne, elle a longtemps servi de cuvette à une méditerranée centrale donc nous allons tracer l’histoire et décrire les vicissitudes. Une île basse, allongée, courant du sud-ouest au nord-est, perdue au sein d’un océan immense, parsemée de flaques d’eau et hantée par cette végétation à la fois puissante et monotone à laquelle nous devons la houille, tel est l’aspect sous lequel s’offre à nous la Suisse primitive, dans l’âge le plus lointain auquel il soit possible de remonter. Ce sont les phases diverses et les modifications successives de cet état de choses dont nous tâcherons d’esquisser le tableau en prenant pour guide les livres de Heer.

L’Europe elle-même, au sortir du silurien[1], était bien différente de ce qu’elle est devenue. C’est à l’aide de changemens incessans, amenant, en définitive, une longue série d’adjonctions aux terres primitivement émergées, que l’Europe s’est formée. Elle a pu et dû posséder des montagnes spéciales à chacune des périodes qu’elle a traversées, montagnes effondrées plus tard ou réduites à de plus modestes proportions ; mais elle a vu surgir aussi et se compléter les chaînes qui la dominent sous nos yeux, auxquelles elle doit sa physionomie, ses frontières naturelles, et les versans d’où partent les rivières, pour suivre la route que leur ouvrent les vallées dépendant de ces chaînes. Il est bien certain cependant que ces montagnes, si diverses par leur direction générale, leur attitude moyenne et les allures mêmes qu’elles présentent, les Alpes, les Pyrénées, les Apennins, les Carpathes, pour ne citer que les principales, n’ont pas surgi à la fois ni par suite d’un seul et même phénomène, mais que chacune a son histoire à part, histoire qui est également celle des plaines et des vallées étendues à leur pied.

M. de Lapparent, dans une récente conférence sur « l’écorce terrestre, » a fait, au sujet des montagnes, cette remarque curieuse qu’en dépit des différences qui les distinguent, elles présentaient constamment cette particularité d’avoir « leur ligne de relief

  1. Époque des plus anciennes manifestations de la vie.