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tout entier avec son érudition de bon aloi, sa puissante faculté d’analyse, sa clarté dans l’exposition des phénomènes, sa chaleur communicative qui associe le lecteur à ses propres pensées, enfin son amour pour les œuvres de la nature, dans laquelle il découvre et bénit l’action divine. On y remarque bien aussi certains défauts inhérens à la méthode de l’auteur ou à son caractère, contre-partie presque inévitable de ses qualités d’analyste : trop de penchant à accepter des théories et des explications toutes faites, à présenter comme assuré et définitif ce qui, à bien des égards, demeure controversable ; enfin, ça et là, des partis-pris dans la manière de voir et de juger. Tout cela n’enlève rien à la façon magistrale dont l’œuvre a été évidemment conduite.

Le trait le plus original de la Suisse primitive, ou, si l’on veut, de l’histoire géologique de ce pays, c’est qu’elle est justement l’opposé de ce qui semblerait qu’elle dût être au premier abord. La Suisse est maintenant le centre et le nœud orographique du continent européen. C’est là que les Alpes, comme en Asie l’Himalaya, toutes proportions gardées, dressent leurs plus hautes cimes et constituent l’ossature puissante de la chaîne principale dont les ramifications courent ensuite en s’abaissant peu à peu et président à la distribution des eaux courantes dans les directions les plus divergentes. C’est effectivement des Alpes ou de leurs dépendances que partent, séparés d’abord les uns des autres par un assez faible intervalle, le Rhône, le Rhin, le Danube, le Pô, qui s’engagent, eux et leurs affluens, dans des vallées différentes pour aboutir finalement, au sud, au nord et à l’est, dans autant de mers isolées par d’immenses étendues interposées. Ces montagnes sembleraient devoir être les plus anciennes, celles qui auraient surgi les premières, formant un massif autour duquel l’espace continental serait venu s’accoler par zones successives au fur et à mesure que d’autres chaînes plus humbles se seraient rangées, comme autant d’accessoires, à une certaine distance de la chaîne maîtresse. Elisée Reclus, dans sa Géographie, dit effectivement que la Suisse doit être considérée comme le milieu de la véritable Europe. Eh bien ! si juste que soit cette appréciation en ce qui concerne les temps actuels, elle ne saurait s’appliquer aux époques reculées auxquelles nous fait immédiatement remonter l’étude des faits que la stratigraphie et la paléontologie ont mis à notre disposition. Ici, l’apparence actuelle serait plutôt faite pour dérober l’ancienne réalité à des yeux moins exercés que ceux de la science moderne. Mais nous ne sommes plus au temps où, le granit et les autres élémens cristallins étant la roche primordiale, il suffisait que la masse d’une montagne en fut composée pour qu’on la fît remonter à l’origine des choses. On sait