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Né en 1809, à Niederuszwylh, petit village du canton de Saint-Gall, fils d’un pasteur originaire de Glaris et qui revint s’y fixer en 1811 pour y fonder un pensionnat, le jeune Heer, destiné, dans la pensée de son père, au ministère évangélique, reçut de sa première éducation une empreinte qu’il garda toute sa vie. De là des convictions spiritualistes qui lui font honneur et, plus encore, des hymnes s’adressant au Dieu créateur et moteur de l’univers, source de cette harmonie universelle que l’on découvre dans ses œuvres et dont notre savant n’a cessé de proclamer le charme mystérieux. La préface, ainsi que les dernières pages du Monde primitif de la Suisse, exprime cette pensée que la contemplation de la nature conduit nécessairement à Dieu et permet à l’observateur attentif de découvrir « bien au-dessus du temps et de l’espace » la pensée suprême qui, présidant à tous les changemens, demeure seule immuable et seule aussi livre à l’âme qui l’interroge le dernier mot de l’énigme posée ici-bas. Quelque élevés que soient de pareils sentimens, ils peuvent, à l’insu même de celui qui les professe, influencer le naturaliste qui redoute de ne pas y rester fidèle. De là sans doute l’éloignement que Heer a manifesté jusqu’à la fin pour les idées transformistes et ses efforts pour rencontrer une solution du problème entrevu moins radicale et plus conforme, à ce qu’il lui semblait, à ses propres penchans. Mais, dans cette direction, il est difficile de ne pas se heurter à un écueil en cherchant à en éviter un autre. C’est moins l’inclination que la vraisemblance tirée de l’étude des faits qu’il convient de suivre, et d’ailleurs croire que le spiritualisme, un des élémens nécessaires de l’être pensant, doive sombrer parce que telle solution aura prévalu, serait une illusion aussi grande que celle qui pousse d’autres esprits lorsqu’ils s’imaginent procurer par elle au matérialisme un triomphe définitif. Non, la véritable voie consiste à observer ; et c’est aussi par l’observation, en entassant analyse sur analyse et document sur document, que Heer a réussi à construire un vrai monument scientifique. Quoi qu’on fasse, l’antagonisme des deux tendances persistera, en dépit des découvertes partielles ; le cadre a beau s’agrandir, la lutte se déplace avec lui ; l’horizon s’élargit, il est vrai, mais la perspective ne change pas, bien que la proportion des objets ne soit plus la même.

Ce qui fait le naturaliste au début de la vie, alors que les impulsions, encore indécises, commencent à se prononcer, c’est le goût de l’observation, la tendance à percevoir les formes, à saisir ce qui rapproche ou différencie les êtres vivans. Cet instinct, bientôt irrésistible, poussa le jeune Heer à recueillir des insectes et des plantes, à s’efforcer de les décrire et de les classer. Il était écolier de son