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ouvre en chantant. Bianca ne fut point lente à se décider, ni Buonaventuri, que je pense. Son nom seul lui dictait sa conduite et tous les deux se dirent d’un commun accord : A la bonne aventure !

La personne que nous connaissons n’était rien moins qu’une de ces écervelées qui tranchent les difficultés en se tuant ; sa faute à peine commise, elle en avait senti l’absurdité, et sans perdre son temps à la regretter, elle se remit à l’œuvre. Telle s’endort ce soir Juliette au lit nuptial, qui se réveillera demain Françoise d’Aubigné. Les Médicis n’ont jamais brillé par leurs vertus conjugales ; le règne du premier Cosme semble déjà comme une traduction anticipée du sultanisme de Louis XIV. Laurent le Magnifique épouse Clarisse Orsini et n’en continue pas moins de vivre avec ses maîtresses, — il en avait tout un harem. — Nous venons de voir au cours de cette histoire le mariage morganatique de l’autre Cosme avec la Martelli ; pourquoi le grand-duc François, qui, s’il n’avait pas toutes les qualités d’un prince du XVIe siècle, en avait tous les défauts, eût-il à son tour menti à la tradition ? Sa femme Jeanne d’Autriche l’ennuyait comme Éléonore de Tolède ennuya son père. Toutes ces Autrichiennes et ces Lorraines s’acclimatent mal sur le sol florentin. Les mots dans leurs bouches n’ont plus même sens ; leur piété, leur orgueil détonnent, avec les meilleures intentions du monde, elles ne réussissent à séduire ni leurs maris, ni le peuple ; les Françaises elles-mêmes ne s’implantent pas : Louise d’Orléans quitte Cosme III et revient à Paris. Jean-Gaston, parlant de sa femme, Anne-Marie de Luxembourg, écrit qu’elle est un « de ces ordinaires qu’un homme ne supporte pas douze mois de l’année. » François ne faisait qu’agir en Médicis lorsqu’il se déclara l’amant de Bianca Capello. A lui non plus « son ordinaire » ne suffisait pas et, librement, il s’invitait ailleurs, ignorant encore à quelle hôtesse il aurait affaire. Pour une sirène des lagunes, attirer, charmer ce prince était un jeu, mais il fallait, après l’avoir séduit, le retenir. La Martelli n’était arrivée qu’à se faire épouser de la main gauche, Bianca voulut être grande-duchesse ; elle y parvint au prix d’intrigues sans nombre et de ces mille scélératesses que Machiavel appelle « les crimes nécessaires. » Ses ruses, ses complots, ses talens eurent raison de tous les obstacles ; violente aujourd’hui, demain caressante, semant l’or de l’état à pratiquer le : « Qui m’aime me suive, » et s’arrangeant de manière que ses ennemis fussent toujours où elle les voulait, à l’écart, dans la proscription, la ruine ou la mort. Le grand-duc, ensorcelé, ne secouait sa chaîne que’ pour la reprendre ; les hautaines colères de Jeanne d’Autriche, ses larmes, les semonces des confesseurs, peines perdues : Bianca d’une grimace effaçait tout.

J’entends les gens honnêtes s’écrier : « Si encore elle l’eût aimé ! »