Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

morte, on l’accusait de tout ; on fit à son honneur un immense bouquet de scélératesses variées qui fut tiré à Florence en manière de feu d’artifice et dont l’explosion provoqua chez le cardinal un subit mouvement de réaction contre la défunte. C’est ainsi du moins que je m’explique cette brutalité de geste et de discours peu compatible avec les affectueuses et politiques démonstrations de la veille. Ce prompt revirement d’humeur, cet ostracisme si dur, presque cynique, prononcé à l’endroit de la sépulture, ce cri de haine : La pessima Bianca ! tout cela dut venir d’une certaine combinaison atmosphérique qui, sans doute, ne tarda guère à se modifier, puisque nous assistons, peu après, au spectacle d’un complet retour aux bonnes intentions. Le père de Bianca richement pourvu, tous ceux qu’à son lit de mort elle avait recommandés soudainement rentrés en grâce, nous sont témoins de ce régime de réparation : don Antonio lui-même en rappelle, la baudruche désenflée se regonfle et surnage[1]. Pensons encore au conte d’Hoffmann ; petit Zachs ne saurait périr ! le voilà légitimé de neuf et, de plus, déclaré Médicis, neveu du cardinal régnant, prince apanage, et, finalement, grand-prieur de Malte ; le destin aime les fantoches, et quand, une mémoire trop maltraitée à côté d’eux a besoin de réhabilitation, c’est sur leur tête qu’il accumule les dédommagemens !


Parmi les illustres parvenues de l’histoire il en est une dont Bianca Capello me semble évoquer le fantôme. Cette volonté froide, ce calcul, ce long travail vers la domination, ce plan aussitôt conçu et poursuivi à travers tout de se faire épouser, ne devinez-vous pas ? De la beauté, de l’intelligence et point de cœur, l’unique ambition pour mobile avec ses tours et ses détours, ses ruses, ses audaces et ses cruautés stratégiques. Les sens y sont, mais ils se cachent, subordonnés à l’esprit d’ordre et de suite qui gouverne exclusivement ; s’ils parlent, ce sera dans l’avant-scène, tout au début, dans cette première aube de la destinée où l’étoile tardant à percer, on prélude en attendant mieux : Buonaventuri, Villarceaux, pelotages avant partie ; le diable n’y perdra rien, ni le mari non plus. Si grand monarque qu’il puisse être, on le trompera, mais comme un ministre trompe son maître et non comme une

  1. Lui, sur qui ce même cardinal ne pouvait pourtant conserver l’ombre d’une illusion, ainsi qu’on le verra dans cette lettre à Fra Soderini : « S. A. S. le grand-duc, mon frère, et Bianca, son épouse ; ayant en peu de jours passé de vie à trépas, et le gouvernement de l’état m’étant échu, selon qu’il sied que cela soit, J’ai voulu rassurer ma conscience au moyen d’une nouvelle enquête et j’ai désormais l’entière certitude que ce don Antonio ne nous est rien, n’étant l’enfant ni du grand-duc mon frère ni de sa femme, l’exécrable Bianca, — la pessima Bianca. »