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d’incliner vers le jansénisme, non qu’il eût jamais opposé aucune résistance aux définitions théologiques de Rome ou refusé sa signature à aucun formulaire, mais parce que la sévérité de sa tenue, la rigueur, parfois même l’âpreté de son zèle, lui donnaient un air de famille avec les docteurs de cette secte fameuse. Un tel homme n’avait garde de mettre en oubli cette antique règle de l’église : à savoir que la réparation en tout genre doit être proportionnée au scandale et que le rang élevé d’un pécheur, en donnant plus d’éclat à ses fautes, l’oblige à en apporter autant dans sa pénitence. Il avait trop souffert d’ailleurs du spectacle qu’il avait eu sous les yeux, du mélange qu’il avait dû tolérer entre les pratiques extérieures de la dévotion et l’effronterie du libertinage, pour se prêter plus longtemps à une confusion qui, à cette heure suprême, devenait sacrilège. Il ne voulait pas que les saintes cérémonies de l’église parussent une comédie jouée en face de la mort et dont acteurs et spectateurs se riraient ensuite également si le danger venait à disparaître. Aussi, quand on vint lui demander de porter au roi la communion en viatique, il déclara nettement qu’il ne se rendrait pas à cette prière si la maîtresse congédiée n’avait d’abord quitté la ville, où sa présence n’était expliquée que par la passion coupable qui l’y avait amenée. L’injonction transmise au pénitent fut obéie sans résistance, et les deux sœurs durent recevoir l’ordre de s’éloigner sur-le-champ de Metz.

Ce fut le comte d’Argenson, ministre de la guerre, qui fut chargé d’aller leur porter ce triste message. Il trouva Mme de Châteauroux seule avec Richelieu, dans une attente pleine d’angoisse. Le comte était un de ceux qui s’étaient montrés le plus empressés à la courtiser pendant sa faveur, et elle comptait sur son amitié ; aussi, en entrant, portait-il sur son visage la trace d’une émotion jouée ou véritable ; il fit même, racontait plus tard Richelieu, semblant de se trouver mal ; ce ne fut que d’une voix entrecoupée et tremblante qu’il put lui dire : « Le roi vous conseille, madame, de vous en aller à quatre ou cinq lieues de Metz. » La malheureuse resta consternée. Obéir était nécessaire, mais non facile, car il n’était pas sans danger de traverser les rangs d’une foule émue qui remplissait les rues de la ville. L’irritation était au comble contre les deux femmes qu’on accusait d’avoir compromis la santé du roi par la vie de débauche qu’elles lui avaient fait mener et attiré sur lui la colère céleste par les désordres dont elles l’avaient rendu complice. Richelieu eut l’heureuse pensée d’aller demander aide à Belle-Isle, de qui dépendait, en sa qualité de gouverneur, la sécurité de la ville. Le maréchal, en vrai gentilhomme, n’hésita pas à se mettre, lui et ses gens, à la disposition des deux proscrites. Il vint les