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de l’histoire, les boiseries de la chapelle de Chantilly présentent un piquant enseignement.

Ce qui nous intéresse surtout dans ces boiseries, ce sont les informations esthétiques qui s’en dégagent. L’œuvre, ici, est singulièrement complexe. L’artiste, tout en se tenant dans le domaine des arts décoratifs, a dû emprunter surtout à l’architecture et à la peinture, être comme soulevé par les qualités originales de l’une et participer aux défaillances de l’autre, se montrer lui-même enfin, avec sa physionomie propre et sa véritable valeur, dans tout ce qui relève de la décoration proprement dite. — L’architecture de ces boiseries est, en effet, bien française. La simplicité des lignes, la sobriété des moulures, les arêtes partout avivées, l’harmonie particulière de l’ensemble, les divisions générales répondant à ce besoin de clarté qui nous est propre, ne permettent aucun doute à cet égard. On a là devant soi une œuvre de même famille que l’autel de Jean Bullant. L’œil, en passant de l’autel aux boiseries, semble lire la suite d’une même page. Les boiseries sont le complément de l’autel. Ces deux monumens se tiennent par une intimité qui ne souffre pas la séparation ; chacun d’eux perdrait de sa valeur s’il était privé du voisinage de l’autre. — Si le décorateur a été tributaire de l’architecte pour une partie de son œuvre, il a été aussi sous la dépendance du peintre pour une autre partie. Le moyen pour lui de ne pas s’inspirer de la peinture quand il s’agissait de composer un tableau ? Ainsi a-t-il fait pour ses Douze Apôtres ; et alors, il a dû, comme nos peintres eux-mêmes, subir le joug des dogmes frelatés des Italiens de Fontainebleau. Certaines de ces figures pourraient être signées du Rosso, d’autres pourraient être revendiquées par Primatice. Rien en elles de vraiment français, ni par l’esprit, ni par le style. Nous passions tout à l’heure, sans transition apparente, de l’architecture de l’autel à celle des boiseries ; nous allons maintenant, sans que notre regard se trouve dépaysé, de la Sainte Agathe et du Saint Jean des vitraux aux apôtres incrustés dans ces mêmes boiseries. — En revanche, cette œuvre, sur certaines parties de laquelle la décadence italienne a laissé sa marque, redevient un chef-d’œuvre partout où l’artiste se Rome à être purement et simplement un décorateur. C’est qu’au XVIe siècle, dans toutes les directions des arts décoratifs, la France a été maîtresse, et maîtresse incomparable. Quelle variété, quelle opulence, et en même temps quelle mesure dans tout ce qui constitue alors le luxe, l’ameublement, la parure, le costume ! Quelle perfection technologique, quelle pureté de dessin, quelle fertilité d’imagination chez nos émailleurs et nos céramistes ! Les boiseries d’Écouen apportent un argument considérable en faveur de ces humbles artistes, qui se montrèrent inépuisables dans leurs inventions, sans sortir du mode tempéré qui est