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Les boiseries et les portes à claire-voie qui servent de clôture et d’entrée aux deux oratoires latéraux sont d’une conception plus opulente encore, mais d’un goût moins pur peut-être que les lambris de la nef. L’huisserie de gauche a été refaite ; celle de droite est ancienne. Elle présente, dans sa partie supérieure, un ordre complet d’architecture, ajouré dans toutes ses parties. Un fronton le couronne, avec une tête de chérubin, sculptée en haut-relief au milieu du tympan. Quatre colonnes en bois de courbaril portent l’entablement, qui se prolonge de chaque côté. Ces colonnes sont elles-mêmes supportées par des consoles à griffes, fouillées à jour avec un goût remarquable et portant sur un soubassement décoré de panneaux, dans lesquels on retrouve, au milieu de motifs indéfiniment variés, les emblèmes et les devises d’Anne de Montmorency. On remarque enfin, dans la partie basse de ces boiseries ajourées, cinq autres colonnes de courba-t-il, sur lesquelles pose une frise intermédiaire, où sont sculptées des têtes de victimes accompagnées de guirlandes… Ces détails décoratifs, tout débordans de fantaisie, échappent à la description.

Pour qu’on ne puisse se méprendre sur l’époque précise de ce monument, la date de 1548 est inscrite au milieu d’un des panneaux. Henri II était roi de France depuis un an déjà, la fortune du connétable était à son comble, et sa reconnaissance était sans bornes. Non content d’indiquer, par la couronne et la devise royales apposées sur ces lambris, que le roi est chez lui dans la demeure des Montmorency, Anne tient à montrer également, par le chiffre et les allégories de Diane à chaque instant reproduites, que la favorite du roi, elle aussi, a pris de lui pleine possession. Les emblèmes de Henri II et de Diane de Poitiers étaient répandus à profusion dans toutes les parties de la décoration d’Écouen. Il n’y avait pas jusqu’aux verrous ou targettes aux armes de Montmorency qui ne fussent marqués aux chiffres de Henri et de Diane. Nombre de témoignages du même genre pourraient être invoqués. On connaît le beau plat en émail, aux armes du connétable, sur lequel Léonard Limousin, ayant à peindre le Banquet des dieux d’après Raphaël, a substitué Henri II à Jupiter, Catherine de Médicis à Junon, Diane de Poitiers à Vénus, Anne de Montmorency au dieu Mars. Cet Olympe du temps des Valois est caractéristique. Il montre à quel point le personnage le plus important du royaume et le plus fidèle des serviteurs du roi se montrait complaisant pour les faiblesses royales[1]. À ce point de vue aussi, c’est-à-dire au point de vue

  1. Cet émail, qui faisait partie de la collection Fountaine, vient d’être adjugé en vente publique, à Londres, moyennant la somme de 7,000 guinées (182,000 francs 191,000 francs avec les frais).