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les sculptures. Pour ne conserver aucun doute à cet égard, il suffit d’une simple confrontation. C’est surtout des bas-reliefs du jubé de Saint-Germain-l’Auxerrois qu’il convient de rapprocher les bas-reliefs de l’autel d’Écouen[1]. Ces sculptures sont à peu près du même temps. Le jubé, décrit par Sauval, est de 1542 à 1544. L’autel passe pour avoir été fait durant la disgrâce du connétable, de 1541 à 1547 ; comme il porte encore le tortil de baron, il est en tous cas antérieur à 1551, époque à laquelle Henri II érigea en duché-pairie la baronnie de Montmorency[2]. Voilà donc des sculptures de même date. Il suffit de les regarder comparativement pour s’assurer qu’elles sont aussi de même main. Le Sacrifice d’Abraham, sur le retable de l’autel, est un tableau sculpté dont l’esprit et l’exécution se retrouvent dans la Déposition de croix du jubé. On remarque de part et d’autre le même dessin, le même modelé, la même recherche de style, les mêmes reliefs aux vives arêtes et de saillies un peu basses. L’analogie devient plus grande encore entre les Prophètes de l’autel et les Prophètes du jubé. Les deux Saint Marc sont presque la réplique l’un de l’autre. Pour Saint Jean, Saint Luc et Saint Mathieu, ce sont, des deux côtés aussi, les mêmes attitudes empruntées aux fresques de la Sixtine, mais bien franchement naturalisées françaises. Jean Goujon s’inspire de l’Italie sans renoncer à sa propre nationalité ; il se laisse soulever par Michel-Ange sans craindre de retomber écrasé. On trouve, dans ses Prophètes, une certaine âpreté d’expression qui est peut-être d’emprunt, mais qui, mêlée et comme adoucie par un charme personnel à l’artiste, devient, à proprement parler, l’artiste lui-même. Quant aux allégories qui représentent la Religion, la Loi et la Justice sur la face principale de l’autel, elles font songer aux Nymphes que Jean Goujon sculpta quelques années plus tard sur la fontaine de Saint-Innocent[3]. Ces différentes figures, les unes avec plus de jeunesse et les autres avec plus de maturité, ne sont-elles pas de la même

  1. Ces bas-reliefs, longtemps oubliés dans une maison de la rue Saint-Hyacinthe-Saint-Honoré, furent acquis pour le Musée du Louvre en 1850.
  2. Jean Goujon paraît avoir été le sculpteur de prédilection du connétable pendant cette période de disgrâce. Jusqu’en 1547, il a même le titre d’architecte du connétable ; à partir de 1547, il prend le titre d’architecte du roi.
  3. Ce Château d’eau, avec le corps d’hôtel qui en dépendait, avait été bâti en 1550 au coin de la rue Saint-Denis et de la rue aux Fers. Il concourait à un ensemble de décoration, dont Jean Goujon avait indiqué la pensée par deux mots inscrits sur le monument : Fontium Nymphis. La démolition de la Fontaine des Nymphes fut la conséquence de la suppression du charnier des Innocens en 1787. M Puyet transporta plus tard cette fontaine au centre de la nouvelle place destinée à devenir un marché. Dès qu’on s’aperçut que ceux des bas-reliefs qui avaient été mis dans le soubassement de la nouvelle fontaine menaçaient ruine, on les mit au Louvre. Ils y sont inscrits sous les no 97, 98 et 99 du catalogue de M. Barbet de Jouy. Les autres bas-reliefs sont encore en place sur le monument. — Les bas-reliefs de l’autel d’Écouen ont dû précéder de quelques années les bas-reliefs de la Fontaine des Nymphes, qui furent exécutés de 1550 à 1555.