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Une fois démontré l’effacement de notre peinture nationale et le double servage qu’elle eut à subir sous les Valois, la valeur pittoresque des verrières consacrées aux Montmorency nous apparaît avec clarté. Que voyons-nous dans ces tableaux ? Deux écoles en présence : d’une part, l’affectation du grand style et le parti-pris de se passer de la nature ; d’autre part, la volonté de ne s’en rapporter qu’à elle et de suivre en tout ses indications. Saint Jean l’Évangéliste et Sainte Agathe appartiennent à la première de ces écoles ; Anne et Madeleine de Montmorency, Ainsi que leurs enfans, relèvent de la seconde. Les deux figures de saints gardent, dans leur tournure, une élégance et une grandeur qui évoquent les plus beaux souvenirs : elles sont de race, et cependant elles ont quelque chose de déclamatoire ; elles disent une fois de plus ce qui a été dit des milliers de fois déjà ; elles semblent sortir du magasin des accessoires, dans lequel on les tient en disponibilité depuis un quart de siècle. Rien ne leur appartient en propre. Ce. qu’il y a d’harmonieux en elles n’est que l’écho des harmonies lointaines. L’école de Fontainebleau a sur elles de pleins droits, et elles nous font remonter en imagination jusqu’à l’école romaine ; Primatice ou Niccolò dell’ Abbate a pu les peindre, et l’on ne peut se défendre, en les regardant, de songer encore à Raphaël. Les portraits agenouillés des Montmorency, au contraire, évoquent le souvenir des Van Eyck, de Memling et de Holbein. Les Flamands naturalisés Français qui les ont peints sont les héritiers directs et les continuateurs de ces maîtres. Comme eux, ils poursuivent le vrai, la naïveté, la précision jusque dans les détails, mais avec un style et une clarté qui les font reconnaître comme Français. On pourrait très bien faire honneur de ces honnêtes portraits à l’un des Clouet ou à Corneille de Lyon. Tout prête à l’hypothèse dans ces peintures. Comme on y sent deux systèmes divergens, on est tenté d’y chercher deux mains différentes. On répugne à croire que le même crayon ait pu dessiner les deux figures de saints et les dix portraits qui les accompagnent ; que le même artiste ait pu changer aussi complètement de manière de voir, entrer tour à tour et presque instantanément dans l’esprit d’un maître italien et dans celui d’un maître flamand. Hélas ! nos peintres consentirent alors à un tel abandon d’eux-mêmes, qu’aucune contradiction ne leur dut coûter. Leur abnégation permet de tout admettre.

Rien, d’ailleurs, n’est plus obscur que la vie de nos peintres sous les Valois, plus problématique que leurs œuvres. Que sait-on de Jean Cousin, le plus renommé des peintres français de ce temps ? Pas même les dates de sa naissance et de sa mort. Parmi ses tableaux, un seul est authentique, le Jugement dernier du musée du Louvre ; deux autres sont probables, l’Eva Pandora, de Sens,