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des verriers admirables, des tapissiers, des brodeurs, des émailleurs également dignes d’éloges ; mais nous cherchons en vain des peintres éminens, des peintres au sens propre du mot, pour commander à ces vaillantes phalanges. On parle du musée de Bicêtre, où le duc de Berri, frère du roi Charles V, aurait réuni les plus rares chefs-d’œuvre de la peinture française au commencement du XVe siècle. L’incendie allumé par les Bourguignons en 1411 laisse, sur ce terrain, le champ libre à toutes les hypothèses. Ce musée, cependant, ne devait pas être unique. S’il contenait des tableaux remarquables, d’autres tableaux non moins admirables étaient ailleurs aussi. Comment n’en serait-il pas resté quelque chose, alors que tant de témoignages subsistent en faveur de tous les arts collatéraux ? On prend prétexte trop facilement de la fragilité de la peinture. Le vélin, le verre, l’émail, les tissus délicats, sont-ils donc plus résistans que les panneaux des peintres ? N’ont-ils pas été soumis aux mêmes vicissitudes ? Cependant, ils sont parvenus jusqu’à nous. Pourquoi, d’ailleurs, les bonnes peintures auraient-elles été plus susceptibles que les médiocres, et comment se fait-il que ce soient ces dernières seules qui aient survécu ? N’est-il pas plus naturel de penser que si l’on ne trouve pas en France, durant les XIVe et XVe siècle, une série de vrais peintres ayant produit des œuvres magistrales et d’un caractère vraiment personnel, c’est que de tels peintres n’ont pas existé ?

De ce que la peinture française n’avait pas pris son essor à la fin du XVe siècle, s’ensuit-il qu’elle n’était pas alors en train de se chercher, peut-être même sur le point de se trouver ? Nullement. Nous pensons, au contraire, que chez nous aussi, vers cette époque, le rameau d’or aurait fleuri, si des circonstances fatales ne l’avaient desséché jusque dans ses racines. Notre génie pittoresque nous poussait en ce moment vers les Flandres. C’est sur cette peinture empreinte de sincérité que nous allions greffer la nôtre. En cédant à cette inclination naturelle, nos maîtres imaginiers et nos consciencieux portraitistes pouvaient devenir de vrais peintres, parlant une langue à eux, vraiment française. Ce fut alors que l’Italie, envahie par nous, se vengea en faisant main basse sur notre peinture nationale, et que la France consentit, pour ses propres peintres, à un asservissement qui devait durer tout un siècle. Léonard de Vinci, qui s’était attaché à la fortune de François Ier, était trop âgé pour fonder chez nous une école. Il ne vint guère en France que pour mourir. Dix ans plus tard, notre jeune roi, remis des désastres de Pavie, chercha dans les arts un adoucissement aux rigueurs de la guerre et tourna de nouveau les yeux vers la Péninsule. Florence lui envoya le Rosso. Ce fut un triste cadeau qu’elle nous fit. Nul, en effet, n’était moins propre à former le goût de nos