Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

portrait. Par sa pose comme par son costume, elle est en tout semblable à sa sœur Catherine et à sa sœur Jeanne[1].

Toutes ces figures, réunies dans un même sentiment de respect, sont comme des pages parlantes de notre histoire. Elles ont, au point de vue de l’art, un intérêt beaucoup plus considérable encore.

Certains peuples, à un moment donné de leur développement, ont eu pour vocation de présenter des idées générales sous des formes tellement voisines de la perfection, que la beauté de ces formes a suffi pour éclairer d’une même lumière toute une partie du monde civilisé. Les œuvres qu’ils ont produites alors ont été en telle abondance, qu’elles ont débordé du sol qui les avait vues naître pour se répandre partout et à profusion. Devant elles, les frontières se sont abaissées, les nationalités ont disparu, toutes les langues particulières se sont confondues dans une langue universelle qui a été pour un temps la langue de l’humanité. Tels ont été, il y a plus de deux mille ans, les arts de la Grèce, dont le monde classique, sans distinction de races, a vécu durant près de dix siècles, et qui ont envahi même le monde barbare, où ils ont laissé des traces ineffaçables. Aucun peuple chrétien, il est vrai, n’a eu pareille fortune, en ce sens qu’aucun n’a pu s’imposer aux autres dans toutes les directions de l’art et du goût. Les dominations qui devaient se rencontrer désormais n’allaient plus être que des dominations partielles. C’est ainsi que, pendant trois siècles (du XIIe au XVe), la France, incarnée dans son architecture gothique, commande à l’Occident par l’abondance et l’éclat de ses œuvres, et que, durant trois siècles aussi (du commencement du XIVe à la fin du XVIe), l’Italie, personnifiée dans ses légions de peintres, prend possession de quelques-uns des peuples qui l’avaient d’abord conquise. Or, il est arrivé que ces grands courans, si féconds à leur source, au lieu d’apporter la richesse à quelques-unes des terres sur lesquelles ils ont passé, ont tari en elles, ou tout au moins suspendu la sève des floraisons locales. Les verrières de Chantilly fournissent la démonstration de cette vérité. Cette démonstration se fera d’elle-même quand nous aurons rappelé les conditions où se trouvaient nos peintres au cours du XVIe siècle.

Y avait-il eu, antérieurement au XVIe siècle, une école française de peinture, c’est-à-dire une suite de peintres ayant une physionomie qu’on ne puisse confondre avec aucune autre ? De bons esprits prétendent que oui, nous inclinons à croire que non. Nous voyons bien, au XIVe et au XVe siècles, des miniaturistes de premier ordre,

  1. Anne de Montmorency eut de Madeleine de Savoie trois autres filles encore : Anne, abbesse de la Trinité de Caen ; Louise, religieuse à Saint-Pierre de Reims, d’où on la tira pour gouverner l’abbaye de Gersy ; et Madeleine, religieuse d’abord à Fontevrault, puis abbesse à Caen, après sa sœur Anne.