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rendre. C’est celui-là aussi qu’il faut chercher dans le vitrail de Chantilly. Durant les sept années de son exil, le connétable, en effet, se donna tout entier aux beaux-arts, ils furent son refuge et sa consolation. Le sentiment du beau, inné en lui, s’était développé au contact des innombrables chefs-d’œuvre auxquels il avait chauffé sa jeunesse en Italie, et ce sentiment, loin de s’affaiblir avec l’âge, devint de jour en jour plus ferme et plus éclairé. Aussi, le temps de sa disgrâce est-il le plus fécond de sa vie, en ce sens qu’il est rempli par les seuls travaux qui lui aient survécu. Les monumens qui nous retiennent dans la chapelle de Chantilly sont de cette époque. Ecouen achevé, Chantilly transformé, la capitainerie (le petit château ou châtelet) bâtie, appartiennent au même temps. C’est alors qu’il réunit à Chantilly ses plus précieux trésors : marbres antiques, émaux, faïences, livres rares, tapis venus de l’Orient, armes de toutes provenances (l’armure complète de Jeanne d’Arc, entre autres). Quelle perte pour notre patriotisme que la destruction d’une telle relique ! .. Le vitrail nous montre Anne de Montmorency, de trois quarts à droite, agenouillé sur un coussin de velours cramoisi. Le connétable a revêtu son armure, par-dessus laquelle il a passé le manteau d’armes en brocart d’or brodé des alertons bleus des Montmorency. Sa tête et ses mains sont nues ; il a déposé à terre son casque et ses gantelets. Malheureusement, le verrier n’a rendu que d’une manière incomplète les intentions du peintre chargé de restituer la tête si nettement caractérisée dans l’émail de Léonard Limousin. Cette mâle figure nous apparaît ici avec quelque chose de mou et d’effacé qui nous déconcerte. Le connétable devait commander à ses fils dans la prière comme il leur commandait sur le champ de bataille. On sait que ses élévations à Dieu n’attendrissaient guère son cœur. Brantôme nous apprend qu’il ne manquait jamais de dire ses prières, même à la tête de ses troupes, et qu’on ne le craignait jamais plus que lorsqu’on le voyait en oraison. Si le prévôt venait en ce moment lui rendre compte de quelque délit, il ne s’interrompait que pour prescrire des peines sévères, reprenant ensuite son Pater et son Credo avec le plus grand calme ; ce qui faisait dire à ses soldats : « Dieu nous garde des patenôtres de monsieur le connétable ! » Il fait bon d’être ici en présence de cet homme de guerre, qui fut aussi un homme de goût.

Les quatre fils du connétable sont dans la même posture que leur père ; mais, au lieu de têtes d’emprunt, ils ont la ferme accentuation des bons portraits de l’époque. Le premier est François de Montmorency, qui fut pair, grand-maître, maréchal de France, chevalier de Saint-Michel et de la Jarretière, gouverneur et lieutenant-général de Paris et de l’Ile-de-France, comte de Dammartin, baron de Châteaubriant, châtelain de l’Isle-Adam. Il était né en 1531, et