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montre le connétable de profil à gauche, dans la force de l’âge, peu de temps peut-être avant sa disgrâce. On retrouve, dans cette tête fortement accentuée, l’intrépidité, la rudesse de tempérament du soldat endurci, la hauteur de caractère, l’austérité de physionomie de cet homme de guerre, qui était aussi un homme de cœur et que l’on comparait à Caton : « Homme intrépide à la cour comme dans les armées, — a très bien dit Voltaire, — plein de grandes vertus et de défauts, esprit austère, difficile, opiniâtre, mais honnête homme et pensant avec grandeur. » Une pareille médaille était précieuse pour l’artiste chargé de la réparation du vitrail[1]. Le musée du Louvre lui gardait d’autres documens plus voisins de la peinture, capable par conséquent de l’intéresser davantage encore. Tel est le médaillon en cire coloriée de la collection Sauvageot, petite image bien vivante et sur l’authenticité de laquelle on ne peut se méprendre. Tel est surtout le grand portrait peint en émail par Léonard Limousin, une des pièces les plus importantes de la grande émaillerie française au XVIe siècle. Ce portrait fut exécuté en 1556. Anne de Montmorency est donc là de douze ans plus âgé que sur le vitrail. Il se montre de trois quarts à gauche, presque de face. Ses yeux sont bleus ; ils veulent marquer de la bienveillance et le regard reste froid. La bouche essaie de sourire et conserve en dépit d’elle-même sa fermeté d’accentuation. Les cheveux et la barbe sont presque blancs. La tête est coiffée d’une toque noire, ornée d’une médaille et agrémentée de points brodés en or. Le pourpoint et le manteau sont également noirs ; l’un est fermé par des boutons dorés et garni sur la poitrine d’arabesques en broderie d’or, l’autre est bordé d’hermine et pourvu d’un large collet également en hermine[2]. Il semble que le connétable fasse effort sur son caractère pour se radoucir en présence de son émailleur de prédilection ; mais son visage garde malgré tout quelque chose de dur. Il y avait pourtant dans ce personnage deux aspects différens : à côté de l’homme de guerre, implacable et fougueux, on trouvait l’homme passionné pour les arts, et c’est ce dernier que Léonard Limousin s’est efforcé de nous

  1. La face de cette médaille est entourée de cette légende : ANNAS MOMMORANCIVS MILITILE GALLICÆ PRÆF(ectus). Au revers, le génie de la Prévoyance, sous forme d’une femme ailée, embrasse à la fois Bellone et Amphitrite ; avec cette légende : PROVIDENTIA DVCIS FORTISS(imi). (V. au cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale de Paris.)
  2. Cet admirable émail mesure 0m,45 de haut sur 0m,32 de large. Il est monté dans un cadre en bois sculpté et doré, qui forme plusieurs compartimens dans chacun desquels sont d’autres émaux peints en grisaille sur fond noir. Un faune et une faunesse, accompagnés d’enfans et portant des vases, sont de chaque côté du portrait. L’épée de France, entourée de la devise des Montmorency, Ἀπλανῶς (Aplanôs) ; est figurée aux quatre angles du cadre. Parmi les arabesques, on distingue le monogramme bien connu de Léonard Limousin.