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portée à leur service. » Et, prenant le pommeau de son épée, qui figurait une croix, il le baisa à plusieurs reprises en recommandant son âme à Dieu. Il eût souhaité mourir sur le champ de bataille. Il vécut deux jours encore. On l’avait transporté à Paris, dans son hôtel de la rue Sainte-Avoie. Un cordelier survint, qui crut devoir l’exhorter à la mort. Il lui répondit brusquement : « Croyez-vous qu’un homme qui a su vivre près de quatre-vingts ans avec honneur ne sache pas mourir un quart d’heure ? » Il mourut le 12 novembre 1567, et on lui fit des funérailles triomphales[1].

C’est durant son exil, de 1541 à 1547, que se montre Anne de Montmorency sur le vitrail de Chantilly. Malheureusement, sa figure a été décapitée. Est-ce le temps, dans le hasard de ses ruines, qui est coupable en cette affaire ? Ne sont-ce pas plutôt les hommes, dont la barbarie a été sans bornes ? Toujours est-il que, sur les douze figures qui remplissent les deux verrières, onze sont intactes ; une seule, mais la plus importante de toutes, a été mutilée. La tête actuelle est donc d’un travail tout à fait moderne[2]. Pour cette restitution, les informations ne faisaient pas défaut. Anne de Montmorency aimait à voir son portrait sous toutes les formes. De vrais portraits de peintres, il y en a eu, cela n’est pas douteux ; mais nous n’en connaissons pas dont l’authenticité et la conservation soient suffisantes pour nous renseigner[3]. Un monument contemporain considérable était la statue équestre en bronze qui se trouvait devant l’entrée principale de l’ancien château ; mais il n’en reste rien[4]. La numismatique, qui échappe plus facilement à la ruine, fournit, par compensation, une belle médaille. Elle

  1. Son effigie fut portée à Notre-Dame, honneur réservé aux rois de France. La reine voulait qu’il fût enterré à Saint-Denis, mais il avait désigné par son testament l’église de Montmorency comme lieu de sa sépulture. Son cœur fut porté aux Célestins de Paris, dans la chapelle de la maison d’Orléans, à côté de celui du roi Henri II, son maître et son ami. — Catherine de Médicis, tout en couvrant de fleurs le corps d’Anne de Montmorency, fut heureuse de cette mort : « J’ai deux grandes obligations au ciel en ce jour, dit-elle à l’un de ses familiers : l’une, que le connétable ait vengé le roi de ses ennemis ; et l’autre, que les ennemis du roi l’aient défait du connétable. » — Barthélémy Prieur sculpta le monument des Célestins de Paris et le tombeau de l’église de Montmorency. Ces sculptures sont au musée du Louvre.
  2. M. Luchevallier-Chevignard a été chargé de peindre le carton qui a servi au verrier pour la restitution de cette tête. Il a également composé les arabesques qui entourent, dans chacune des fenêtres, les anciens vitraux d’Écouen.
  3. Celui que l’on voit à Versailles, sous le no 3190, est bien du XVIe siècle, mais il conserve à peine quelque trace de l’ancienne peinture.
  4. M. le duc d’Aumale a chargé M. Dubois de refaire cette statue, qui sera mise à la même place que l’ancienne, sur le terre-plein du château. Ce travail important ne pouvait être confié à de meilleures mains. — La statue tombale de Barthélémy Prieur est un monument apologétique qui ne présente guère l’exactitude d’un véritable portrait. Ni M. Paul Dubois pour sa statue, ni M. Lechevalier-Chevignard pour la restauration du vitrail n’y pouvaient trouver un document sérieux.