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d’art de tous les temps se succèdent et se complètent mutuellement ? En présence de ce vaste ensemble, si bien conçu pour la satisfaction de l’esprit et pour le plaisir des yeux, félicitons l’artiste qui a su triompher de tant d’obstacles accumulés devant lui, et rendons hommage à la volonté supérieure qui a si bien voulu tout ce qu’elle voulait.

Nous n’avons pas jusqu’ici parlé de la chapelle, qui va être pour nous, cependant, le centre d’attraction principal. Elle ne rappelle la chapelle de l’ancien château ni par la place qu’elle occupe, ni par la forme qu’elle affecte, ni par les monumens qu’elle contient. La chapelle primitive que montre Du Cerceau n’avait rien de remarquable dans sa physionomie[1]. Elle fut détruite et reconstruite par Louis-Henri de Bourbon vers 1720. Le XVIIIe siècle l’avait faite sans doute à son image. Après l’avoir édifiée, il l’anéantit. Située au ras de la cour et tout entière enveloppée par les hautes murailles du palais, elle faisait corps pour ainsi dire avec le château, à l’intérieur duquel elle se cachait[2]. La nouvelle chapelle, au contraire, est la partie la plus en vue du château, dont elle se détache complètement[3]. Elle est toute d’extérieur, d’élan, de vive expansion au dehors. On la voit comme en vedette à l’endroit le plus saillant du rempart, surplombant à de grandes hauteurs les eaux dormantes des fossés, dessinant ses formes élégantes sur un fond de plein air, et de sa flèche élancée montrant de loin le ciel. Son plan comprend deux parties distinctes : une pour les vivans, l’autre pour les morts. L’autel, pourvu d’un retable formant écran, sépare entre elles ces deux parties. La partie antérieure, prise sur le terre-plein de l’ancien bastion, comprend une nef rectangulaire qui sert au culte de chaque jour ; la partie postérieure, occupant la place de la tour qui défendait du côté de l’Orient les approches de la forteresse, dessine une circonférence de cercle et renferme le monument funèbre contenant les cœurs des Condés[4]. Piganiol de La Force dit bien que

  1. Piganiol de la Force nous apprend que l’ancienne chapelle fat démolie et reconstruite en 1718 lorsque le duc de Bourbon bouleversa et rebâtit en partie le vieux château. On trouva alors, au milieu de ladite chapelle, un cercueil de plomb, « à quatre pieds de profondeur, dans lequel étoit un corps dans tout son entier. » Ce corps devrait Être celui de Guillaume le Bouteiller de Senlis, troisième du nom, auquel avait été donné, pour la première fois en 1430, le droit d’avoir une chapelle dans son château de Chantilly.
  2. Cette chapelle se trouvait à la place qu’occupe maintenant l’entrée couverte qui succède au grand escalier du nouveau château.
  3. On peut cependant communiquer, par une galerie couverte, de l’intérieur du château à une des parties latérales de la chapelle.
  4. Ce monument se trouvait, avant la révolution, dans l’église Saint-Paul, à Paris. La Foi et la Force sont assises de chaque côté du sanctuaire, au fond duquel sont placés les cœurs des Condé. Plus bas, sont la Justice et l’Espérance. Deux enfans, l’un portant une tablette et l’autre un écusson aux armes des Condé, gardent l’entrée de ce lieu mortuaire. Une suite de bas-reliefs, dont les sujets sont empruntés à la Bible, garnissent le pourtour du monument. Ces statues et ces bas-reliefs, en bronze, sont l’œuvre de Sarrazin.