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planchette en bois, sur laquelle est timbré le numéro du lit et le nom du dortoir où il doit coucher. Bien souvent, le pensionnaire muni de la planchette, qui représente pour lui un bon de sommeil, s’approche du capitaine et lui dit quelques mots à l’oreille. Le capitaine fouille dans sa poche, en tire un petit carton carré et le remet au pauvre homme, qui lui fait un sourire et un clin d’œil de reconnaissance. Qu’est-ce donc que cette fiche mystérieuse ? C’est un bon de pain, un bon de fourneaux pour le repas de demain. Pendant l’année 1883, les 37,041 individus qui ont défilé devant le bureau des capitaines, qui ont passé 101,482 nuits dans les trois maisons hospitalières, ont reçu 29,485 bons de pain et 18,754 bons de fourneaux. Ces fourneaux économiques fonctionnent d’une façon permanente ; les portions que l’on y distribue sont suffisantes et la qualité de la nourriture est bonne. Ce système est supérieur aux mesures que l’on adoptait jadis pendant les jours de grande disette : « Le 2 juillet 1586, on établit dans vingt-sept rues des marmites, après avoir enjoint à tous les bourgeois d’y apporter, Vers midi, les restes de « leurs potages et viandes, » qui seront distribués aux indigens[1]. »

Lorsque la distribution des numéros de lit est terminée, il n’est pas loin de neuf heures ; c’est en général vers ce moment qu’arrive le vice-président, qui a charge d’une des trois maisons. Avec le capitaine et le secrétaire, il prend place sur l’estrade devant la rangée de bancs où sont assis les pensionnaires. Il lit le règlement et le commente ; il parle de courage, de résignation, du devoir pour tout homme de lutter contre les difficultés de l’existence, de l’espérance, qu’il ne faut jamais répudier, et de la dignité humaine, qui se relève par le travail, quel que soit le travail, quel que soit le salaire. En deux mots, il explique que, si tant d’inconnus se trouvent réunis dans un asile ouvert et subventionné par d’autres inconnus, c’est que ceux-ci obéissent aux suggestions de la charité inspirée par la foi et la croyance à une vie future. Puis il se lève pour réciter la prière, en ayant soin de faire remarquer que nul n’est forcé de s’y associer, car on a les hypocrites en aversion, mais que chacun y doit assister avec décence, tête nue et debout. On dit l’Oraison dominicale et la Salutation angélique. Dans chacune des maisons, j’étais présent à l’instant de la prière ; placé sur l’estrade, je dominais les cent ou cent cinquante pensionnaires. J’ai été très surpris. Le vice-président ou le capitaine, à très haute voix, disait la première partie de la prière ; toute l’assistance répondait en récitant l’autre moitié, non pas en forme de murmure, mais d’une façon distincte, sans fausses simagrées, sans ricanement.

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1870 : l’Assistance publique. Le Bien des pauvres.