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affaire de Tunis, qui ne paraît plus être une difficulté sérieuse ; il a réussi à apaiser les susceptibilités italiennes, à dissiper les nuages laissés dans nos rapports avec l’Espagne par un maussade incident, et il s’est fait assez de crédit pour pouvoir traiter aujourd’hui sans désavantage avec l’Angleterre au sujet de l’affaire d’Egypte. Ce sont là des résultats patiemment poursuivis et qui ont certainement leur valeur, qui placent la France dans une situation moins précaire, moins déprimée que celle où elle se trouvait il y a dix-huit mois. M. le président du conseil a donc suffisamment réussi au quai d’Orsay, nous ne le contestons pas. Malheureusement cette politique ministérielle a plus d’une face, et si d’un côté elle a repris ou a paru reprendre une certaine position à l’extérieur, elle reste d’un autre côté toujours enfoncée dans un vrai fourré d’épines, dans ces affaires intérieures d’où elle ne sait plus comment sortir. Elle se débat depuis le retour des chambres entre des interpellations sur la Corse et une loi chimérique de recrutement militaire, entre la révision constitutionnelle et le divorce. Tout cela se mêle dans des discussions coupées, incohérentes, où le gouvernement hésite souvent à avoir une opinion, où la majorité flotte sans direction, à la merci de toutes les influences : de sorte que M. le président du conseil a beau avoir des succès diplomatiques, il reste toujours sous le poids de toutes ces questions inutiles ou dangereuses qu’il soulève si gratuitement ou qu’il laisse soulever autour de lui.

Les deux exemples les plus récens et les plus frappans de cette confusion de politique intérieure sont la révision constitutionnelle, dont le ministère a cru devoir prendre l’initiative, et cette loi de recrutement militaire qui va à l’aventure devant la chambre, qui, si elle était adoptée, serait la désorganisation de l’armée et des professions libérales en France. — Elle est donc maintenant engagée, cette révision que le pays ne demandait certes pas, qui n’excite positivement aucun enthousiasme, même chez ceux qui l’ont inscrite dans leurs programmes. Bon gré mal gré, elle est engagée ; M. le président du conseil a fait solennellement ses propositions, la chambre a nommé sa commission, et dès le premier pas il est clair qu’on va rencontrer toute sorte d’impossibilités ou de difficultés. A peine la discussion a-t-elle été ouverte dans la commission, que l’on s’est aperçu que le meilleur ou peut-être le seul moyen de s’entendre était de s’expliquer le moins possible, de commencer par accepter le principe de la réforme constitutionnelle, en laissant le reste à l’imprévu, en se bornant, pour toute précaution, à dire que la révision sera limitée. C’est là, en effet, le seul point admis, et il ne pouvait guère en être autrement, par cette raison bien simple qu’il est plus facile d’ouvrir une telle question que d’en préciser d’avance toutes les suites. On peut bien mettre dans un exposé des motifs, et même dans un rapport de commission, qu’il y aura