Jacques, après un moment de silence, se relève, et, du ton le plus simple : « Non, je ne vous aime pas!.. » N’est-ce point une trouvaille, et d’un art exquis? L’auteur, ici, pour parler à peu près comme Marivaux, n’a-t-il point découvert une nouvelle « niche où peut se cacher l’amour, » et un nouveau moyen de l’en faire sortir? Il nous indique à peine où vont les sentimens de son héros : il laisse son héros l’ignorer lui-même. Et quand cet amour, dont le cours est couvert, ainsi qu’il arrive le plus souvent dans la nature, sort à la lumière du ciel, c’est au spectateur une surprise délicieuse, dont la surprise du personnage redouble encore le plaisir. « Je m’y perds, la tête me tourne, je ne sais où j’en suis, » s’écrie l’héroïne du Prince travesti, après que ses yeux se sont brouillés à regarder inutilement dans son cœur. S’il sait maintenant où il en est, Jacques de Meuse ne savait pas qu’il y venait; il en convient avec une bonne grâce qui nous amuse et nous touche. La duchesse ne fait que rire de son aveu, ou plutôt de son déni d’aveu. « Puisque vous ne m’aimez pas, vous avez très bien fait de ne pas me dire que vous m’aimiez... Ce qui m’étonne, par exemple, c’est que vous ayez justement choisi le genre de conversation qui devait vous amener à me faire ce joli compliment,.. à votre place, moi, j’aurais parlé d’autre chose. » A quoi, tout uniment, il répond : « Si vous croyez que je m’attendais à ce qui m’est arrivé!.. — » N’est-ce pas de la vérité la plus exacte et du comique le plus fin? N’est-ce pas d’une naïveté sans prix?
On juge si l’action de cette pièce est modérée; un seul coup de théâtre y marque : c’est le fait d’un mouvement de l’âme, et non d’un conflit d’événemens. On juge si l’intrigue est simple : à peine est-ce un prétexte à montrer les évolutions déliées du cœur et quelques aspects des mœurs du jour. Quatre personnages y suffisent : un amoureux, une coquette, un père, une ingénue, flanqués, pour l’agrément du public, d’un valet et d’une soubrette ; aucun, prenons-y garde, n’est le surmoulage d’un type connu, mais tous, avec un air déjà classique, sont des originaux et vraiment neufs. Jusqu’aux comparses, qui demeurent à la cantonade, qui se distinguent par quelque trait neuf et particulier : ainsi ce Martin Miraillou, coiffeur de village, dont le rêve est de venir à Paris et d’y coiffer des actrices ! Nouche n’est pas une soubrette quelconque, mais vient tout droit de la banlieue de Montauban. Et si Saturnin est un Frontin ou un Crispin, c’en est un de ce temps-ci, et qui plus d’une fois a porté la valise de son maître au cabinet de toilette du club. En quelques répliques, Simonne égale, pour la décence, la malice et la tendresse, cette merveilleuse Angélique de l’Epreuve; elle ne prend conseil que d’elle-même pour sentir comme elle sent et parler comme elle parle. Son père, le docteur Larivière, ne doit rien à M. Orgon ni à M. Damis et ne sera pas déplacé dans leur compagnie. Mais surtout la duchesse et Jacques, les deux personnages