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S’il intervient, ce n’est que pour achever d’accabler Sombreuil. S’il écrit, c’est pour apprendre à toute l’Europe que l’infortuné s’est laissé prendre à Port-Aliguen sans brûler une amorce. L’affaire terminée, vite il décampe. Le dénoûment, ça ne le regarde pas; c’est de la politique; lui, il s’en lave les mains; lui, il ne connaît que son devoir de soldat et la loi.

La loi ! le devoir! il s’en souciera bien au 18 fructidor. Il se gênera peut-être, lorsque ses passions et son intérêt personnel seront en jeu, pour les mettre sous ses pieds ! Il ne viendra pas à Paris cabaler contre les conseils en attendant le moment de les faire sauter ! Il hésitera dans cette circonstance à prendre couleur, à dénoncer ou à frapper ses camarades ! Non, non, il faut avoir le courage de le dire, si, du chef de la prétendue capitulation de Quiberon, l’histoire n’a rien à retenir contre Hoche, son abstention en revanche, après le combat, son inertie, si contraire à sa nature, et si choquante au regard de sa vie tout entière, son adhésion silencieuse aux massacres de Vannes et d’Auray, tout se réunit ici contre sa mémoire, et l’accuse. Soit absence de générosité naturelle, soit calcul intéressé, soit rancune de parvenu sachant mal porter sa fortune, soit pour toutes ces causes à la fois, volontairement, sciemment il laissa faire. Les précédens pourtant ne lui manquaient pas. Lors de la dernière campagne, à l’armée de Sambre-et-Meuse, Jourdan, contrairement à un décret formel de la convention, n’avait-il pas refusé de passer au fil de l’épée la garnison du Quesnoy ? Et devant ses courageuses représentations, devant l’indignation de l’armée, le comité de salut public n’avait-il pas été contraint de céder? Ailleurs, à l’armée du Nord, n’avait-on pas vu, plus d’une fois, en pleine terreur, les généraux, complices du soldat, fermer les yeux sur l’évasion de prisonniers émigrés? L’audace était grande alors et certes il n’eût pas fait bon pour eux si quelque créature de Bouchotte les eût dénoncés. En 1795, tout ce que Hoche eût risqué, c’eût été de voir son intervention déclinée. Il est fâcheux pour sa gloire qu’il n’ait pas cru devoir courir un hasard aussi peu redoutable. A sa place, plus d’un, j’imagine, aurait eu l’ambition de couronner par une bonne action un brillant fait d’armes.


ALBERT DURUY.