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De même, au comité de salut public, Tallien n’était pas seul : à côté de lui siégeaient des hommes auxquels il eût suffi de se souvenir et de rentrer en eux-mêmes pour être indulgens, des proscrits d’hier comme Louvet et des royalistes de demain comme Boissy d’Anglas. Est-ce qu’après le 31 mai, en pleine invasion, leurs amis[1] s’étaient fait scrupule de soulever les départemens? Est-ce que, deux ans plus tard, ils hésiteront eux-mêmes à conspirer avec Willot et Pichegru contre le directoire? Cependant, il ne se trouva pas même là, dans ces débris de la Gironde, un assez honnête homme pour s’élever contre l’horreur d’un massacre à froid, d’un égorgement après coup! Il était écrit que le parti finirait, comme il avait vécu, par un acte de pusillanimité. La condamnation de Louis XVI appelait Quiberon et l’éclairé.

Un fait non moins triste à noter dans cette sombre tragédie, c’est le silence de Hoche. Il semble que, devant l’attitude cruellement passive de la convention, il aurait pu, que c’eût été son devoir de parler. Nul plus que lui n’aurait eu d’autorité, nul certainement n’eût été plus écouté. D’un trait de plume, d’un mot parti du cœur, énergiquement ému, il eût peut-être, qui sait? sauvé la vie d’un millier de braves gens et la mémoire de la convention d’une lourde responsabilité ajoutée à tant d’autres. Hoche resta muet.

Un jour seulement, croyant qu’il allait être obligé de livrer aux commissions militaires non-seulement les émigrés, mais les simples chouans[2], une honte le prit; il eut un bon mouvement et mit dans une lettre au comité de salut public quelques mots pour ces malheureux :

« Ils sont cinq mille! Si l’humanité peut parler en faveur des coupables, c’est sans doute lorsque la politique se joint à elle pour demander que la hache terrible soit suspendue. » D’ailleurs, ajoutait-il brutalement, « cinq mille hommes de plus à nourrir sont un objet considérable. »

Le plaidoyer manquait d’élévation peut-être; on voudrait y trouver moins de sécheresse, et d’autres argumens. Toutefois l’intention était louable. A l’égard des chouans, Hoche eut du moins quelques scrupules. Plût à Dieu qu’il en eût éprouvé de semblables à l’égard des émigrés! Mais là, rien. Pas une minute d’hésitation, d’attendrissement; pas une ligne un peu chaude, un peu généreuse, ni dans son rapport à la convention, ni dans sa correspondance !

  1. Louvet lui-même avait essayé de soulever la Normandie.
  2. Archives de la guerre, 9 août 1795. Hoche, heureusement, ici se trompait. La loi sur les émigrés n’était pas applicable aux chouans. Les chefs et les embaucheurs seulement devaient être punis de mort aux termes de la loi du 30 prairial et le furent. Le reste fut mis en liberté.