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contiguë aux bâtimens d’habitation ; deux charrues rangées contre la muraille semblaient attendre que les chevaux à forte croupe eussent fini de manger l’avoine ; c’était actif et gras. Les champs que cultivait cette ferme, appelée la ferme de Monceaux, sont à cette heure sillonnés de rues, et la vieille maison est la maison mère de l’Hospitalité de nuit. On l’a louée, on l’a aménagée, on l’a appropriée à sa destination nouvelle ; là où les bœufs ont ruminé, où les fléaux ont battu les blés, les surmenés du sort, les abandonnés d’eux-mêmes et des autres viennent dormir sous le regard de la charité qui leur a préparé un asile.

Il a fallu diviser la grange en deux étages, dresser un escalier de communication, installer des dortoirs, établir des conduites de gaz, transformer l’étable en lavabo, organiser une pouillerie et changer si bien les intérieurs de la ferme que les anciens fermière ne la reconnaîtraient plus. Cela exigea du temps et le premier workhouse parisien ne fut inauguré que le 2 juin 1878. L’assimilation aux workhouses de Londres n’est point rigoureusement exacte. Au début, les workhouses ont été créés en vue de secourir la pauvreté, mais aussi et surtout de réprimer la mendicité ; ce dernier caractère tend à s’effacer aujourd’hui, mais il a été le moteur principal de l’œuvre et il en reste quelque chose. Nul n’est reçu encore à l’heure qu’il est dans les maisons de Saint-Marylebone, de West London, de City of London et de Kensington sans avoir été préalablement fouillé et privé de tout instrument qui peut ressembler à une arme. A l’Hospitalité de nuit, rien de semblable ; les statuts sont explicites : « L’œuvre a pour but : 1° d’offrir un abri gratuit et temporaire, pour la nuit, aux hommes sans asile, sans distinction d’âge, de nationalité ou de religion, à la seule condition qu’ils observeront, sous peine d’expulsion immédiate, les mesures de moralité, d’ordre et d’hygiène prescrites pour le règlement intérieur ; 2° de soulager leurs misères physiques ou morales dans la mesure du possible. » C’est la tradition du moyen âge qui se réveille après un siècle d’assoupissement ; je retrouve là l’esprit qui dominait les Augustines da Saint-Gervais. Écoutez ce qu’en a dit Sauvai : « Leur hospital est établi pour recevoir les pauvres pendant trois jours, afin que, dans cet intervalle, ils puissent trouver de l’emploi ou quelque condition[1]. » Il est impossible de mieux définir le but visé par l’Hospitalité de nuit.

Les débuts furent modestes ; peut-être avait-on trop compté sur les belles nuits d’été qui engagent au sommeil en plein air, car aujourd’hui, comme au temps du neveu de Rameau, « quand le vagabond n’a pas six sous dans sa poche, ce qui lui arrive

  1. Antiquités de Paris, I, 359.