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Mais qu’importait à Blad? Avant tout, ne fallait-il pas aller vite? Au lieu de la déclaration qu’on lui demandait, pour toute réponse, il cassa la commission et en nomma d’abord une, puis cinq autres : « Nonobstant l’assurance que nous lui avions donnée qu’il n’y a eu ni pu avoir de capitulation entre des républicains et des traîtres pris les armes à la main, écrivit-il ensuite au comité du salut public, cette commission chancelait, hésitait à remplir avec fermeté la tâche qu’elle a acceptée et risquait de compromettre par des délais la tranquillité publique... je l’ai cassée[1]. » La mesure était odieuse autant qu’impolitique ; en pleine terreur, dix-huit mois auparavant, Robespierre jeune ou Saint-Just n’en auraient pas usé différemment. Mais, laissant de côté la moralité de l’incident, il est clair que deux faits importans s’en dégagent et restent acquis au débat. Le premier, c’est que ni Sombreuil, ni les deux émigrés interrogés en même temps que lui par la commission militaire n’ont argué de la capitulation. L’autre, c’est le démenti de Blad venant s’ajouter à ceux de Hoche et de Tallien. Or, comment expliquer, dans l’hypothèse de la capitulation, le silence de MM. de La Landelle et Petit-Guyot? Et comment, d’autre part, ne pas être frappé de la netteté du langage de Blad ?


III.

Au résumé, dans ce procès, des deux parties ou mieux des deux opinions en présence, l’une a pour elle un certain nombre de témoignages consignés, vingt ou trente ans après l’événement, dans des écrits souvent incohérens et contradictoires ; elle peut encore, à la rigueur, s’autoriser d’un mot équivoque de Sombreuil. Mais de preuves, d’affirmations nettes, émises sur l’heure, elle n’en produit aucune. C’est vingt ans après seulement que la légende, lentement élaborée, le soir, à la veillée, dans quelques châteaux, prend corps et se répand. Pour éclater, elle attend la restauration.

L’autre opinion, tout à l’opposé, se manifeste dès le premier jour avec une parfaite concordance dans des documens historiques qui ne trouvent longtemps aucun contradicteur sérieux. Elle a pour elle, sans compter le rapport de Tallien, l’autorité de Hoche, celle de Blad, le silence de Sombreuil et des premiers émigrés jugés, le long silence plus significatif encore des sept cents familles frappées par les commissions militaires de Vannes et d’Auray.

Maintenant, est-ce à dire que tout soit à rejeter dans les relations royalistes? Assurément non. Le sentiment, sinon le cri de l’armée, paraît bien avoir été très favorable aux émigrés, et il semble difficile

  1. Archives de la guerre (28 juillet).