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Tantôt c’est Hoche et tantôt c’est Tallien qu’on accuse. Tantôt c’est pendant, tantôt c’est après la capitulation que M. Gesril du Papeu se jette à la nage.

Je n’en finirais pas s’il me fallait relever toutes ces divergences ; et j’ai hâte d’arriver, pour clore cette longue discussion des témoignages royalistes, au plus important de tous, à celui de Sombreuil lui-même ; car enfin, c’est bien le moins qu’ayant entendu les témoins, nous écoulions aussi le principal acteur.

Ajoutez qu’en l’espèce, la déposition de Sombreuil emprunte aux circonstances une singulière autorité. Toutes les relations qui précèdent sont de quinze ou vingt ans au moins postérieures à l’affaire de Quiberon ; elles datent en général de la restauration ; aucune d’elles ne s’est produite avant 1815. Le récit de Sombreuil est du 22 juillet 1795, c’est-à-dire du lendemain même de l’événement. Il a été écrit sous une impression encore toute chaude et à une heure où l’on ne ment guère : Sombreuil allait ou du moins croyait qu’il allait paraître devant son Dieu ; il ne pouvait soupçonner qu’on le ferait languir encore plusieurs jours. Sa lettre à sir Johns, commandant de la flotte anglaise, n’est pas un rapport ordinaire ; c’est la dernière parole d’un mourant, et d’un bout à l’autre il y règne une sincérité d’accent qui en exclut toute idée de mise en scène.

« N’ayant plus de ressources, dit-il, très sommairement, j’en vins à une capitulation pour sauver ce qui ne pouvait échapper, et le cri général de l’armée m’a répondu que tout ce qui était émigré serait prisonnier de guerre et épargné comme les autres. J’en suis seul excepté. » Un point : c’est tout. Pas d’Humbert ; pas de Hoche ; pas de Tallien ; pas de dialogue ; pas de pourparlers ; pas de signature ; pas même d’engagement verbal. « Le cri général de l’armée, » voilà maintenant toute la capitulation. Mais le sentiment de l’armée, si déclaré qu’il fût, pouvait-il tenir lieu d’une capitulation en règle ? Sans doute, Sombreuil le pensa, — on est crédule à vingt-cinq ans, et l’on prête volontiers sa générosité aux autres. — S’il eût pris des garanties, stipulé des conditions, soit avec Humbert, soit avec Hoche, il l’aurait dit ou tout au moins indiqué d’un mot, et s’il ne l’a pas fait, c’est apparemment qu’il lui était impossible de préciser[1].

Ainsi, d’une part, des témoignages absolument contradictoires, émanés de témoins oculaires, qui tous ont vu des choses différentes, de l’autre ce passage équivoque et très peu concluant de la lettre

  1. Dans une autre lettre du même jour (22 juillet) adressée à Hoche et qui n’existe pas aux archives de la guerre, mais que donne Savary, Sombreuil ne prononce même pas le mot : capitulation. « Toutes vos troupes, dit-il, se sont engagées envers le petit nombre qui me reste et qui aurait nécessairement succombé. Mais, monsieur, la parole de ceux qui sont venus jusque dans les rangs la leur donner doit être sacrée pour vous. »