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D’ailleurs, où était le droit? Qui le savait encore après tant d’outrages et qui s’en souciait? Après cinq années de succès prodigieux, d’efforts surhumains, de misère et, il faut bien le dire, de la plus effrénée licence, en fait de droit, l’armée ne connaissait plus que le sien : celui qu’elle avait acquis de jouir en paix de ses succès sous un maître à elle, en attendant qu’elle pût retourner à la victoire et au butin. La pente était fatale et, tout comme un autre, passionné comme il était pour la gloire. Hoche s’y fût très vraisemblablement abandonné. Les Cincinnatus sont rares en temps de révolution, et, pas plus que Bonaparte, il n’était du bois dont on les fait.

Au surplus, le mal n’est pas si grand. Si le point de vue change, s’il faut renoncer à Cincinnatus et si, vu de plus près, le héros qui cachait l’homme et ses faiblesses perd un peu de sa perfection légendaire, Dieu merci, les morceaux en sont bons, et l’on taillerait encore dedans plus d’une statue de bronze aujourd’hui. Hoche avait été trop exalté, c’est certain. Son caractère, son rôle en Vendée, ses talens militaires eux-mêmes n’ont pas encore été jugés avec assez de désintéressement et de liberté. Il importait à la vérité de le ramener à ses justes proportions ; — c’est un peu ce qu’on s’est proposé dans l’esquisse qui précède. — Mais il faudrait bien se garder de tomber, à son égard, dans l’injustice et le dénigrement. Si l’histoire a des droits, le patriotisme a pareillement ses devoirs, et lorsqu’on se trouve en face d’un homme qui compte parmi ses états de service la belle campagne de 1793, sans cacher ses erreurs, il semble qu’on soit tenu, plus qu’envers tout autre, à beaucoup de prudence. Il conviendrait surtout, — et j’aborde ici le point particulier de cette étude, — de ne porter contre de telles personnalités des accusations touchant non plus seulement au caractère ou au talent, mais à l’honneur, qu’armé des témoignages les plus irréfragables. J’ai souvent agité ces réflexions dans les dernières années, en parcourant certains travaux historiques où l’induction passe vraiment toute limite; elles me sont revenues tout récemment encore, à la lecture d’un livre sur les émigrés pendant la révolution. Dans le chapitre qu’il consacre à l’expédition de Quiberon, l’auteur de ce livre, M. Forneron, accuse positivement Hoche d’une action scélérate. Je voudrais, sur ce point, défendre une mémoire dont il est bien permis, en tant qu’historien, de ne pas pousser l’admiration jusqu’au fétichisme, mais pour laquelle, en tant que Français, il est bien difficile de ne se point sentir une grande tendresse.


II.

C’était le 21 juillet 1795, à l’extrémité de la presqu’île de Quiberon, entre la mer furieuse et les canons du fort Penthièvre. Sur