Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/900

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par où se termine la journée, elle se précise encore et s’aggrave de la bruyante complicité de tous les officiers-généraux présens. On buvait sec à l’armée de Sambre-et-Meuse, et quand on avait bu, dame! on n’y mâchait pas les mots. Hoche, le premier, lève son verre et porte un toast à « l’anéantissement des factions, » puis se rassied. Mais patience, voici le commentaire. « A la haine des ennemis de la république ! s’écrie Lefebvre. Feu de file sur les coquins qui souillent le sol de la liberté! » — « A l’armée d’Italie! reprend Championnet. Nous vous avons entendus, braves camarades, et nous marcherons avec vous! » — « Au maintien de la république! ajoute Ney. Grands politiciens de Clichy, ne nous forcez pas à faire sonner la charge! » — « A Buon aparté! fait un quatrième, Puisse-t-il!.. » — « A Buonaparte tout court, interrompt vivement Hoche; son nom dit tout. » Et, sur ce mot, on se sépare.

Quatre jours après, le directoire recevait par un courrier extraordinaire le procès-verbal de la fête accompagné de cette aimable épître : « Prenez-y bien garde, citoyens directeurs, l’indignation est à son comble[1]. Elle est telle ici que souvent je suis obligé de lui opposer une barrière... Toutes les troupes sont animées du même sentiment que ne fera pas changer le vain clabaudage de quelques êtres méprisables et méprisés. Je tempérerai le zèle ardent des amis de la liberté autant qu’il sera en moi, mais il pourrait arriver un terme auquel je ne pourrai plus rien. » (12 août 1797.)

n n’y avait plus, après cela, qu’à passer le Rubicon, et, très certainement, Hoche était prêt à monter à cheval au premier appel de Barras. On sait le reste : le temps pressait. Les clichyens se remuaient fort. Le retour offensif de Hoche à Paris eût été pour eux un avertissement, qui sait? peut-être le signal de l’appel aux armes. Il fallait éviter que Pichegru prît les devans. On avait d’ailleurs un excellent instrument sous la main, Augereau, qui ne demandait qu’à marcher et qui n’était pas homme, une fois dans la place, à la garder. Avec lui, du moins, quelles que fussent ses prétentions, on n’avait pas à craindre un maître. La tête était trop faible, et l’on pouvait être sûr que la besogne serait bien faite, car il n’avait pas dans toute l’armée son pareil pour un coup de main. A tous ces titres, on le prit, et l’ouvrage, en effet, ne laissa rien à désirer.

Lorsque la nouvelle du 18 fructidor parvint à Hoche, il n’eut, a-t-on dit (Rousselin), qu’une pensée, qu’un regret : celui de n’avoir pas concouru de sa personne à cette victoire de la liberté. J’imagine qu’il s’en serait assez vite consolé s’il eût vécu. L’honneur était grand sans doute d’avoir contribué par son attitude et ses discours à soutenir

  1. Ce sont les termes mêmes dont Bonaparte s’était déjà servi, dans une de ses lettres au directoire, un mois auparavant... Seulement ici le plus modéré des deux, c’est incontestablement Bonaparte,. (Voir sa lettre à la correspondance.)