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aucune part aux jeux de la physionomie, la nécessité de forcer la voix pour se faire entendre des spectateurs placés à de grandes distances, certaines particularités de costume, dont la connaissance est arrivée jusqu’à nous, permettent d’apprécier les conditions assez élémentaires dont s’accommodaient les anciens, qui n’apportaient au théâtre aucune des exigences réalistes que nous y montrons aujourd’hui. L’espace occupé par la scène proprement dite était chez eux beaucoup plus restreint, bien moins profond que dans nos salles actuelles. Bien que les nombreux écrivains qui ont étudié cette question présentent entre eux des divergences assez marquées, il paraît probable que le fond de cette scène était rempli par une décoration fixe qui, au besoin, pouvait être masquée, en tout ou en partie, grâce à des décorations mobiles enroulées ou disposées sur des châssis et permettant ainsi de renseigner le public sur les changemens de lieux amenés par le développement de l’action. Cette probabilité, à l’appui de laquelle on peut citer la mention faite par Vitruve qu’Agatarchos avait peint les décors des tragédies d’Eschyle, nous semble, ainsi qu’à M. Woermann, confirmée également par un des plus admirables passages de l’Œdipe à Colone de Sophocle. Lorsque Antigone, guidant son père aveugle, arrive avec lui sur le territoire de l’Attique et lui fait la description du paysage qui l’entoure, il est difficile d’admettre que le décor de la scène ne répondît pas à cette description. Mais les changemens de décor, s’ils avaient lieu, ne devaient pas être bien nombreux, et le matériel dont on disposait à cet effet se réduisait probablement à trois ou quatre types distincts : une place publique, un palais, un temple, et une forêt, qui, à la rigueur, pouvaient suffire à toutes les représentations. Dans une ingénieuse restauration de la scène du théâtre d’Orange, exécutée d’après les indications de MM. Ch. Garnier et Heuzey, des prismes à trois faces, peintes et mobiles autour d’un axe, sont disposés de chaque côté de cette scène, et ces faces, offertes successivement aux regards du spectateur, servent à localiser les divers épisodes du développement du drame. Des accessoires faisant partie du matériel du théâtre, tels que des rochers, une tour, une portion de rempart, pouvaient aussi servir à donner au public des renseignemens que celui-ci jugeait suffisans. Les tentatives faites dans le sens d’une mise en scène plus favorable à l’illusion dramatique eurent, en tout cas, pour effet d’améliorer la science de la perspective et de permettre ainsi à la peinture proprement dite de donner graduellement plus d’importance au paysage. Cet art, qui ne s’était d’ailleurs développé que tardivement, accepta pendant longtemps en Grèce une situation dépendante. Le génie grec, nous l’avons remarqué, était surtout sculptural et, dans la décoration des temples, qui forma d’abord la principale occupation de la peinture,