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de bonne heure le génie grec inclina vers cet anthropomorphisme dont les poésies homériques nous montrent tant d’exemples significatifs. Les rayons du soleil y sont devenus les flèches d’Apollon; « la divine Séléné baigne son beau corps dans l’Océan » ou « pousse en avant ses chevaux lumineux; » l’Aurore, assise sur son trône d’or, écarte « de ses doigts couleur de rose » les voiles transparens qui flottent autour d’elle, les flots azurés de la mer « rient » au soleil, et les nuées violemment agitées par la tempête « se plaignent et gémissent. » Partout, chez Homère, on sent la présence de l’homme, et la nature n’a d’intérêt que par lui, par les rigueurs qu’elle lui oppose ou les facilités de vivre qu’elle lui procure. On ne songe guère qu’elle a ses beautés propres qui plus tard seront admirées pour elles-mêmes. L’idéal, c’est une terre féconde, bien cultivée, fournissant largement aux mortels leur subsistance. Les descriptions pittoresques, réduites à quelques traits bien choisis, expressifs dans leur concision, nous donnent une idée vivante de la réalité, mais sans jamais nous distraire de l’homme, qui doit toujours occuper notre attention.

Les traits que nous venons de citer, et bien d’autres encore, nous font voir les forces et les phénomènes de la nature personnifiés dans des dieux, qui, semblables aux humains par leurs sentimens et leurs passions, ne diffèrent d’eux que par une puissance et une beauté supérieures. Pour les représenter dans leur dignité, l’art n’aura donc qu’à choisir dans les formes humaines, à les épurer, à les ennoblir. Ces formes que la race en Grèce offre à l’art naturellement belles, tout l’effort de l’éducation tend à les rendre plus parfaites encore. Les grandes fêtes nationales sont les jeux athlétiques ; la solennité des récompenses décernées aux vainqueurs justifie la place réservée dans la vie aux exercices variés qui assouplissent ou fortifient les corps des jeunes gens, et un seul mot sert à exprimer cette excellence morale et physique qui fait d’eux des citoyens accomplis. La sculpture trouve ainsi en abondance des modèles et des occasions de progrès qui, après des efforts persévérans, la mettent en possession de toutes ses ressources. Instruite à cette école et stimulée par le goût national, elle réalise des types de beauté qui sont proposés à l’admiration d’un peuple entier sur ses places publiques et à son adoration dans ses temples.

On le voit, tout concourait à assurer dans l’art grec la supériorité à la sculpture. Mais, si les manifestations de la vie humaine s’y retrouvent idéalisées pour servir à l’expression de la vie divine, en revanche, dans le programme que se propose cet art, il n’y a guère place pour une représentation de la nature pittoresque, à laquelle, d’ailleurs, il ne saurait jamais se prêter que d’une façon bien sommaire. A peine pourrait-on relever çà et là, à travers