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yeux et des oreilles y soit géométriquement parfaite, en cherchant à se rapprocher autant que possible de cet idéal de beauté dont la pleine lune leur paraît le modèle achevé.

On peut prévoir les résultats auxquels aboutissent de pareilles théories quand les Chinois les appliquent au paysage. Comme ils n’y veulent aucun sacrifice, la couleur en est bariolée et crue, sans aucune atténuation des nuances en vue d’une harmonie dominante ou à raison de l’éloignement progressif des plans. La perspective linéaire n’est pas plus correcte que la perspective aérienne, et il est curieux que ce peuple, qui en connaît les lois scientifiques, qui en tient même compte dans l’arrangement de ses jardins, ne s’y conforme en aucune façon dans ses représentations de la nature, alors surtout que leur emploi serait légitime et nécessaire. Ces paysages sont généralement pris à vol d’oiseau. La perspective, au lieu de s’étendre en profondeur, y est toute en hauteur : elle procède par superposition et non, comme elle devrait, par interposition. Chaque objet, pris isolément, a sa perspective à lui, exacte s’il ne s’agit que de son apparence propre, mais défectueuse par rapport à l’ensemble, manquant de cette unité que lui donnerait un point de vue fixe auquel se rapporteraient toutes les lignes. Cette préoccupation de l’ensemble n’existe d’ailleurs à aucun degré dans les paysages chinois : une ville n’y est jamais qu’une réunion d’habitations juxtaposées à la fois dans le sens horizontal et dans le sens vertical, sans qu’aucune masque sa voisine, et les arbres, qu’on peut toujours compter séparément, n’indiquent une forêt que par leur nombre. L’eau s’y trouve toujours très amplement répartie, non-seulement parce qu’elle ajoute au pittoresque, mais aussi parce qu’elle fournit un moyen commode d’éviter la confusion qui résulterait de pratiques aussi défectueuses. Elle occupe d’ordinaire le centre de la composition et sur ses bords sont étages les arbres, les fabriques, les rochers, les montagnes et les accidens pittoresques qui, le plus souvent, se trouvent tous réunis dans un même ouvrage. Cette accumulation, loin de prêter à la variété d’aspects, engendre au contraire une grande monotonie et révèle, en somme, une certaine pauvreté d’invention. N’étant pas reliés entre eux, ces détails trop nombreux semblent semés au hasard ; on n’y trouve aucune trace de choix, rien qui manifeste l’intention de l’artiste. Avec ses inconséquences et son absence complète de signification, un tel art est bien celui qu’on pouvait attendre de cette race à la fois vieillie et restée très enfant, avisée et sagace, mais aussi incapable de synthèse que d’imagination.

Voisins des Chinois, les Japonais ont reçu d’eux les principes et les procédés mêmes d’un art qu’ils ont perfectionné suivant leur génie propre, tout en respectant ses traditions. Cet art déjà un peu