Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/874

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’apparence de maisons, de portiques, de dragons et de tous les monstres grotesques enfantés par l’imagination de ce peuple singulier. Tels sont les jardins qui nous sont signalés aujourd’hui encore par des voyageurs récens, à Fati, près de Canton, avec leurs allées étroites, leurs montagnes en miniature, leur végétation impitoyablement martyrisée et leurs cours d’eau divisés en une infinité de bras aux contours sinueux. A côté de ces aberrations, d’autres jardins de plaisance dénotent, au contraire, ce sentiment plus juste des beautés de la nature dont nous trouverions, au besoin, une nouvelle preuve dans la situation pittoresque choisie pour leurs monastères par certains religieux du Céleste-Empire. On ne saurait imaginer un encadrement plus poétique pour la vie contemplative que les forêts séculaires qui enveloppent de tous côtés ces couvens perdus au cœur des montagnes et les lacs tranquilles au bord desquels ils se mirent.

S’il est permis de dire que l’art pur n’existe pas en Chine, il faut reconnaître que l’art industriel y a depuis longtemps, en revanche, acquis une perfection remarquable. C’est du règne végétal qu’il a tiré la plupart de ses élémens décoratifs. Nous ne mentionnerons que pour mémoire ces reproductions de paysages en miniature[1] dans lesquelles la nature, avec son relief et ses couleurs, a été copiée aussi exactement que possible ; vrais jouets d’enfans exécutés parfois avec le plus grand soin, mais sans autre préoccupation que celle d’une imitation rigoureuse. Sans nous arrêter à ces ouvrages, dont la valeur esthétique est absolument nulle, nous pouvons signaler une foule d’objets utiles à l’homme ou destinés à l’embellissement de sa demeure et dont la flore locale a fourni l’ornementation. L’ivoire, le jade, le cristal de roche, les plus dures substances, façonnées avec une habileté infinie, nous montrent l’ouvrier triomphant des résistances que lui opposent ces diverses matières et s’attachant, par la façon dont il les met en œuvre, à faire pleinement ressortir le genre de beauté qui est propre à chacune d’elles. Vous diriez parfois qu’il s’est ingénié à multiplier les difficultés, comme s’il voulait faire parade de son talent à les vaincre. Il excelle à travailler les métaux, à les combiner entre eux, et à se composer une palette avec les différences d’aspect et de couleur qu’il en sait obtenir. Sur les flancs des vases, autour des coupes ou des bassins, il enroule en capricieux festons des feuillages dont la souplesse égale celle des plantes les plus gracieuses; et, çà et là, il y sème, avec un à-propos charmant, quelques mignonnes fleurettes d’une exécution plus fine encore, qui découpent

  1. Le musée de South-Kensington, à Londres, possède plusieurs de ces reproductions dans quelques-unes desquelles les matières les plus précieuses ont été employées.