Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/872

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Plus tard, quand l’architecture est devenue un art véritable, elle se détache de la nature. Elle a ses créations propres, ordonnées, savantes, dont la structure dérive de principes rationnels ; elle a son style, dont la riche ornementation s’épanouit aux chapiteaux des colonnes, entoure les fenêtres ou les portes, court le long des frises en capricieuses broderies d’une invention et d’une originalité charmantes. Si elle ne fait plus, comme autrefois, corps avec le paysage, si elle n’emprunte même plus, comme nous l’avons vu en Égypte, ses élémens décoratifs à la flore locale, elle continue à trouver dans le cadre pittoresque où elle place ses édifices un merveilleux accompagnement. C’est au cœur des forêts immenses que s’élèvent les plus beaux temples ; des arbres majestueux les entourent, et leur sombre verdure contraste avec la blancheur dorée de ces élégantes constructions dont l’eau des bassins intérieurs reflète les portiques et les colonnades, doublant ainsi par cette seconde image leur étendue et leur beauté. Nulle part ailleurs, en aucun temps, l’architecture n’a su tirer un tel parti des ressources pittoresques de la nature et l’associer avec plus d’à-propos à ses œuvres. Quant à la peinture, qui, grâce aux moyens dont elle dispose, eût seule pu retracer les aspects divers de cette belle contrée, à vrai dire, elle n’a jamais existé dans l’Inde. Tout au plus peut-on découvrir dans des miniatures d’une exécution grossière, et assez récentes, quelques rares tentatives de paysages traités très sommairement, à la façon de ces fonds que les maîtres primitifs de l’école italienne ont placés derrière leurs madones. Il semble qu’en présence de cette nature exubérante l’art, comme s’il se sentait impuissant à en reproduire les splendeurs, n’ait jamais essayé d’engager avec elle une lutte inégale.


III.

Placés à l’extrémité de l’Asie, la Chine et le Japon forment un groupe à part d’un caractère tout à fait original, mais il est permis de se demander à quel titre M. Woermann a pu les faire figurer dans une étude sur les arts de l’antiquité. Bien que l’ancienneté de leur civilisation soit incontestable et qu’ils aient de beaucoup devancé les Japonais, il ne faudrait pas accorder toute créance à ce qu’en disent les Chinois eux-mêmes. En fait, on ne peut guère citer de productions de l’art chinois antérieures au Xe siècle, et encore sont-ce là des raretés tout à fait exceptionnelles. L’art des Chinois, et à plus forte raison celui des Japonais, appartient donc aux temps modernes ; il n’entrait point, par conséquent, dans le cadre que s’était tracé M. Woermann. C’est pour nous conformer à l’ordre adopté par lui que nous en parlerons à notre tour, en